Pourquoi les balles de golf ont des alvéoles ?

Les « Pourquoi » du golf. Dans cette série, nous vous emmenons explorer les questions simples en apparence, mais souvent complexes en réalité, qui entourent le golf. Dans ce troisième épisode : pourquoi les balles de golf ont-elles des alvéoles ?

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William LECOQ
Publié le 8 mars 2024 5 mn
Publié le 8 mars 2024 5 mn

Faites l’expérience auprès d’amis à vous qui ne jouent pas (encore) au golf, de votre commerce de proximité préféré, ou même (tant qu’à rendre l’expérience inédite) en arrêtant des gens de passage dans la rue. Mettez leur dans les mains la petite balle dans laquelle vous tapez régulièrement avec votre club, et qui vous donne tant de plaisir. Quel que soit le niveau de connaissances des personnes en question en matière de golf, toutes seront, au moins, capable de dire une chose sans sourciller : il s’agit d’une balle de golf. Et leur certitude demeurera absolue même si vous essayez de les tromper en présentant une balle colorée, ou un modèle purement décoratif dont la taille est, par exemple, bien supérieure à celle autorisée par les règles.

À vrai dire, un seul élément serait à changer si vous vouliez avoir une autre réponse : il faudrait enlever les alvéoles. Mais là, c’est votre jugement à vous qui s’en trouverait changé. Une balle de golf sans alvéoles, ça n’est plus une balle de golf. Mais alors, pourquoi tous ces petits creux à la surface de nos balles ? Vous vous en doutez, les raisons sont avant tout à trouver dans le champ de la physique, et plus précisément de la mécanique des fluides. Ne partez pas si vite.

Une découverte empirique

Commençons par le commencement. Sur un plein coup, la balle de golf, entre le moment de la frappe et son atterrissage, est aux prises avec deux forces : la gravité et la résistance de l’air. Rien ne peut être fait pour contrecarrer la première, mais il est possible de tourner la deuxième à son avantage, en augmentant l’aérodynamisme de l’objet. Là, un premier paradoxe apparaît : dans d’autres disciplines devant lutter contre l’air, comme l’automobile ou le cyclisme, on évite soigneusement de présenter des surfaces accidentées. Des nez effilés des formule 1 aux combinaisons cintrées et casques profilés des cyclistes en contre-la-montre, rien ne doit dépasser, tout doit être le plus lisse possible.

Dans les premières décennies du golf, les fabricants de balles étaient animés de la même idée simple. Moins ça dépasse, moins ça résiste, plus ça vole. D’où l’idée de faire des balles lisses et rondes. Seulement, assez vite, les meilleurs joueurs ont noté une curiosité : leurs balles usées, scarifiées de partout par la répétition des coups, allaient plus loin que les neuves.

Une piste sérieusement explorée, au début du XXe siècle, par William Taylor, un ingénieur anglais. À partir de 1930, il étudie des balles de golf alvéolées en soufflerie, et commence à les produire de manière industrielle. Le fameux design de la surface de la balle de golf était né, et n’allait plus changer par la suite. À noter que ce William Taylor n’a rien à voir avec la marque TaylorMade, créée en 1979 aux États-Unis. Sa société existe certes toujours aujourd’hui, sous le nom de Taylor Hobson, mais travaille dans l’optique et l’aéronautique.

La portance, c’est la cause

Bref, pour revenir aux balles de golf, quels phénomènes physiques favorisent une balle alvéolée par rapport à une balle lisse ? Et on ne parle ici de gain marginal. Si l’on s’amuse à faire taper des balles lisses au driver par certains des meilleurs joueurs européens aujourd’hui, aucun ne parvient à les faire voler sur 200 m, sans compter des trajectoires plongeantes et erratiques façon ballon de baudruche un jour de grand vent. Mesuré plus scientifiquement, l’effet des alvéoles est estimé comme doublant la distance couverte par les balles.

Or donc, pourquoi sculpter la surface des balles ? Une chose est fondamentale à comprendre. On parle de résistance de l’air, mais celle-ci peut être de deux natures : les frottements et la traînée.

Les frottements sont, intuitivement, faciles à se représenter. En volant à une certaine vitesse, un solide entre en contact avec les molécules de l’air, provoque des milliards de petits chocs qui dispersent chacun un peu de son énergie, ce qui finit par le faire ralentir. Plus la surface du solide est grande, et plus les frottements sont importants. Et donc, oui, en creusant des alvéoles sur une balle de golf, on augmente de manière tout-à-fait assumée les frottements qu’elle subit.

Sauf que cette augmentation est non seulement contrebalancée, mais même outrepassée par la réduction de la traînée et la génération de portance (oui, là, ça va peut-être se corser un peu). Lorsqu’une balle lisse avance dans l’air, elle déplace ce dernier, l’obligeant à la contourner. De fait, dans son sillage, un cône se forme, où l’air est moins présent. Dit de manière plus scientifique, la pression de l’air derrière la balle est plus basse.

Or, cette zone de dépression a pour effet d’aspirer la balle dans sa direction, autrement dit de freiner sa marche en avant. Exactement comme la dépression créée sur le dessus d’une aile d’avion attire cette dernière vers le haut, ce qui a pour effet de faire décoller l’appareil. Dans le cas de la balle de golf, le but est donc d’essayer de diminuer la chute de pression derrière la balle, et de réduire la taille de la zone en question.

C’est ici que le rôle des alvéoles est fondamental. À leur contact, le flux d’air crée une multitude de petites turbulences, ce qui forme sur la surface de la balle une sorte de couche d’air perturbé. Plutôt que de suivre le flux général, l’air qui passe juste au-dessus de cette couche va s’y accrocher, et ainsi rester plus près de la balle. D’où une chute de pression moins grande et moins importante.

Ce n’est pas tout. En effet, la balle ne se contente pas de s’enfoncer dans l’air, elle tourne également sur elle-même. Typiquement, au golf, elle effectue cette rotation dans un sens rétrograde par rapport à son mouvement, phénomène là encore favorisé par les alvéoles. Or, ce mouvement a pour effet d’augmenter la pression sous la balle, et de la faire diminuer au-dessus. Le principe est là encore le même que pour les avions : la balle est entraînée vers la zone en dépression, sous l’effet de cette force que l’on nomme la portance. Et pour les quelques physiciens qui sont arrivés jusqu’ici en se rendant compte que certains concepts ont été résumés et passés au travers de certains raccourcis : oui, il s’agit d’une application de l’effet Magnus. C’est d’ailleurs ce dernier qui est à l’œuvre lorsque l’on imprime un effet à une balle.

Et que disent les règles ?

La physique de notre univers est donc ainsi faite : une balle de golf avec des alvéoles va plus loin qu’une balle lisse. Mais jusqu’où les fabricants pourraient-ils exploiter le filon ? Et quelles limitations le règlement techniques du jeu de golf leur impose-t-il ? Tout d’abord, le nombre d’alvéoles est à la libre appréciation des concepteurs, tout comme leur taille et leur forme. D’ailleurs, vous pouvez regarder plusieurs marques de balles, vous finirez par en trouver dont les alvéoles ne sont pas toutes de même dimension. Pour ce qui est du nombre, cependant, il se situe généralement entre 250 et 450, avec une convergence autour de 336. On estime, en effet, qu’au-delà de 300, la portance n’augmente plus significativement.

Les fabricants peuvent donc faire ce qu’ils veulent ? Non, car les organes régulateurs du golf, s’ils n’imposent pas de caractéristiques en matière de design, limitent tout de même la portance que peut générer une balle. Cette dernière est mesurée avec une grande précision dans ces souffleries spécialisées.

Autre donnée importante : le motif formé par les alvéoles doit être homogène et symétrique sur l’ensemble de la balle. Il n’est pas permis, par exemple, d’avoir des alvéoles plus grosses et plus profondes sur l’équateur de la balle, et des plus fines ailleurs. Cette disposition a été prise à la suite d’un épisode survenu à la fin des années 1970. L’entreprise Polara avait mis au point une balle aux alvéoles asymétriques, qui était capable de rétablir son axe de rotation une fois en l’air. L’USGA (l’organe régulateur du jeu aux États-Unis), qui avait d’abord interdit la balle Polara en compétition, a banni le principe même au tournant des années 1980. Il lui a tout de même fallu dédommager l'entreprise, qui l’avait poursuivie en justice, à hauteur de 1,375 million de dollars. De quoi se faire une jolie réserve de balles.


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