Président du Comité national de l’eau depuis 2012, Jean Launay interviendra, samedi 1er avril, lors du forum de l’assemblée générale de la ffgolf. Réduction de la consommation, prise de conscience générale et utilisation des eaux usées retraitées : l’ancien député du Lot vient avec des messages forts adressés au monde du golf. Rencontre.

L'eau est devenu un enjeu majeur pour le monde du golf. © ffgolf

Pouvez-vous nous dire ce qu’est le Comité national de l’eau, ainsi que son rôle et son fonctionnement ?
Si l’on considère que notre pays est découpé en six grands bassins versants, qui ont chacun leurs instances de gouvernance (comités de bassin) et leurs instances financières (agences de l’eau), alors le Comité national de l’eau (CNE) en est la synthèse. On y retrouve une représentation assez exhaustive de tous les usagers de l’eau : toutes les strates des collectivités territoriales, tous les usagers économiques comme les industriels, les agriculteurs, les associations de consommateurs, les associations de défense de l’environnement, ainsi que tous les ministères concernés. Ce qui en fait une assemblée assez large, avec environ 120 membres, qui se réunit en plénière au moins quatre fois par an. Le but est, à la fois, de voter des avis sur certains textes, et de faire un tour d’actualité des sujets de l’eau, et il n’en manque pas.

En plus de ces réunions plénières, le Comité dispose de commissions spécialisées, par exemple sur les départements d’outre-mer, sur l’anticipation et le suivi hydrologique, sur les prix et la qualité des services publics d’eau potable. Nous avons aussi une commission mixte des inondations, une commission mixte des usagers, un comité national des pêches… En résumé, le CNE se spécialise sur certains sujets, et en traite avec les gens impliqués.

Jean Launay, président du Comité national de l'eau. © Institut national de l'économie circulaire

Qu’est-ce qui vous a poussé, dans votre parcours, à vous engager plus particulièrement sur cette question de l’eau ?
Tout simplement car, avant d’être député à partir de 1998, j’ai également exercé un mandat de maire, dans une petite commune du Lot qui s’appelle Bretenoux, traversée par une rivière qui avait parfois des débordements intempestifs. Par ailleurs, je gérais l’eau en régie directe, puisque le puits communal permet de satisfaire la consommation des habitants. J’ai eu, aussi, un mandat de conseiller général du Lot de 1988 à 1994. J’étais vice-président chargé de l’environnement. C’est à ce moment-là qu’on a créé, avec les six départements traversés par la Dordogne, un établissement public interdépartemental. Et lorsque je suis arrivé, en 1998, à l’Assemblée nationale, j’ai poussé à la création d’un groupe d’études sur les politiques de l’eau, et j’ai été porte-parole de mon groupe politique sur tous les sujets relatifs à l’eau. D’où cette implication qui continue, et qui va même de façon croissante, car même depuis 2017 et la fin de mon mandat de député, il y a eu au plan national des processus lancés par le gouvernement, comme les assises de l’eau en 2018 et 2019, lancées par le président de la République.

En 2021, le processus dit du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique, qui concerne l’agriculture, l’usage majoritaire en termes de volume. Puis, dans le cadre de la planification écologique, j’ai reçu en tant que président du CNE une lettre de mission, qui nous demandait de rendre une copie de préconisations au gouvernement rapidement : nous avons fait ce travail en novembre et en décembre.

Vous intervenez ce 1er avril lors du Forum de l’assemblée générale de la ffgolf. Quel message venez-vous porter auprès du monde du golf ?
J’ai deux messages. Tout d’abord, il faut que le monde du golf s’engage, comme tous les acteurs de l’eau, dans les recherches d’économies, dans la connaissance exhaustive des prélèvements qu’il exerce sur les milieux, dans le nécessaire recours à moins d’intrants. Et d’un autre côté, je dirai aussi de ne pas baisser la tête. Nous sommes capables de faire ces efforts, ne nous laissons pas accabler par les extrêmes de l’eau qui circule et ne s’arrête pas, de l’eau qui serait captée pour des usages secondaires… Je pense que tout le monde doit faire des efforts, mais il n’y a pas d’ostracisme à créer sur certains usages de l’eau. C’est pour cela que je dirai également aux golfeurs : Faisons les efforts qu’on a à faire, mais sans baisser la tête et sans se laisser taper dessus.

Ne baissons pas la tête, mais faisons les efforts nécessaires pour garder la tête haute.

Jean Launay, président du Comité national de l'eau

On a pu voir, ces derniers mois, que des attaques étaient portées contre le monde du golf sur la question de l’eau. Qu’est-ce que le golf peut faire pour éviter toute attaque ?
De mon point de vue, il faut être totalement transparent sur les prélèvements. J’encourage vraiment à ce que le système déclaratif des prélèvements soit connu des agences de l’eau, y compris dans des lacs créés par les golfs eux-mêmes. Ensuite, il faut essayer de se caler sur les objectifs nationaux d’économies d’eau. Les Assises de l’eau ont dit qu’il fallait que nous satisfaisions un objectif de 10 % de réduction de la consommation d’eau à l’horizon 2030, et de 30 % à l’horizon 2050. Donc si l’on a connaissance des prélèvements qu’on exerce, il faut aussi les traduire en économies progressives. Cela veut dire privilégier l’arrosage des zones prioritaires, départs et greens, et peut-être être moins systématique sur l’arrosage des parcours eux-mêmes.

Il est important, aussi, d’inciter à la recherche sur des technologies d’arrosage plus économes en eau. Parfois, on peut se rendre compte que l’efficacité de certaines bouches d’arrosage pose quelques questions. On a tout intérêt à vérifier qu’elles fonctionnent dans les bonnes directions et avec les bons débits. Tout ça, ce sont des sources d’économies à la clé. Tout cela est du ressort de la technique pure, mais il y a aussi un travail de sensibilisation des greenkeepers et des jardiniers à ces sujets-là.

Dans le monde du golf, il y a encore des gens qui ne mesurent pas bien l’ampleur de l’enjeu. Qu’aimeriez-vous leur dire ?
Ce n’est qu’à condition de l’effort indispensable et partagé que nous pourrons répondre aux extrêmes écolos. Si nous ne montrons pas, quantitativement et qualitativement, les efforts que nous faisons, qui vont dans le sens d’un moindre recours à la ressource en eau, nous continuerons de nous exposer aux critiques les plus extrêmes. Ne baissons pas la tête, mais faisons les efforts nécessaires pour garder la tête haute.

L’été 2022 a été très sec, l’hiver 2023 également. À quel point devons-nous, à l’heure actuelle, être inquiets ?
Oui. Tous nos opérateurs (Bureau de recherche géologique et minière, Météo France, Voies navigables de France, EDF), et toutes les observations faites nous disent bien qu’il y a beaucoup de voyants qui sont au rouge. Nous avons encore des départements qui n’ont pas quitté le seuil de l’alerte depuis l’été dernier. Et ce ne sont pas les quelques précipitations que nous avons eues au mois de mars qui auront remis les nappes phréatiques au niveau. Donc oui, je suis très inquiet sur l’été qui vient.

L’une des principales craintes des greenkeepers est de voir des préfets décider d’un arrêt total de l’arrosage, y compris sur les greens. Faut-il également être inquiet de cela ?
Le pire n’est jamais sûr, mais il faut tout faire pour l’éviter. En tout cas, le principe des contrats de progrès avec les différentes agences de l’eau est primordial pour montrer aux préfets coordonnateurs de bassins, qui président les conseils d’administration des agences de l’eau, que les efforts sont faits par tous, y compris par les golfeurs. Il faut être absolument transparent pour éviter les décisions extrêmes.

Aujourd’hui, il y a trop de barrières réglementaires, techniques et administratives à l'utilisation des eaux usées retraitées.

Jean Launay, président du Comité national de l'eau

Dans quelle mesure les joueurs de golfs « ordinaires » peuvent-ils s’impliquer sur cette question ?
En tant qu’utilisateurs de cet outil de loisir, ils doivent être habités par leur propre conscience de consommateur de l’eau. Il faut qu’ils comprennent que le sport qu’ils pratiquent a les mêmes contraintes qu’eux au plan individuel. Ces efforts, indispensables dans le cadre de l’adaptation au changement climatique, doivent se faire aussi bien au plan individuel qu’an plan des pratiques collectives, des utilisations industrielles, etc. C’est comme dans un contrat de mariage : chacun doit participer à proportion de ses possibilités. Le golfeur doit comprendre que la contrainte sur l’eau est telle qu’à un moment donné, l’arrosage doit être suspendu sur les fairways pour prioriser les départs et les greens. Tout cela doit être intégré individuellement, pour que collectivement, nous puissions quand même continuer la pratique.

L’utilisation, par les golfs, des eaux usées retraitées issues des stations d’épuration peut-elle représenter une solution ?
Je suis complètement en phase avec le Ministère de la transition écologique pour développer cette pratique. Je pense qu’aujourd’hui, il y a trop de barrières réglementaires, techniques et administratives à cette utilisation. Les exemples de golfs qui utilisent cette eau sont de bons exemples, il faut les donner à connaître, et il faut chercher tous les endroits où cela est possible. Notre recours aux eaux usées retraitées est très réduit en France, alors que nous sommes soumis à la même réglementation européenne que certains pays comme l’Italie et l’Espagne, qui y ont recours beaucoup plus. J’en appelle à l’État et aux organismes officiels pour un assouplissement.

Votre espoir en la matière est-il, aussi, que les projets de cette nature se multiplient, et que les autorités se rendent compte que les contraintes réglementaires sont trop lourdes ?
Absolument. Si l’on arrivait à recenser, département par département, les golfs qui pourraient être arrosés par des eaux usées retraitées, et qu’on le fasse connaître, ce sera de nature à pousser dans le bon sens, pour engager cette démarche de progression.