C'est sur le parcours Est du Kasumigaseki Country Club que vont se dérouler, à partir de jeudi, les épreuves olympiques de golf. Ce club presque centenaire est l'un des hauts lieux golfiques du Japon, et résume presque à lui tout seul l'histoire de ce sport au Pays du soleil levant.

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Le club-house du Kasumigaseki Country Club © BEN JARED / PGA TOUR - IGF

Kasumigaseki. Au Japon, ce nom signifiant littéralement « poste de contrôle de la brume » désigne un quartier de Tokyo, celui où sont regroupé la plupart des ministères et services administratifs du pays. Dans l'univers du golf, il fait plutôt référence à un club prestigieux et ultra-privé, situé à Kawagoe, une lointaine banlieue à 60 km au nord-ouest de la capitale. C'est là, dans ce country club fondé en 1929, que vont se dérouler les épreuves masculine (de jeudi à dimanche) et féminine (du 4 au 7 août) des Jeux de la XXXII° Olympiade« Il est contigu à un autre parcours qui s'appelle le Tokyo Golf Club. Extrêmement privés l'un et l'autre, ils ont tous deux la réputation d'être parmi les plus prestigieux clubs du Japon, comme peuvent l'être chez nous Chantilly et Morfontaine », explique en préambule Nathalie Jeanson.

Joueuse professionnelle sur le circuit féminin japonais au cours des années 80, l'actuelle directrice du golf de Paris Longchamp a foulé à plusieurs reprises les fairways du parcours Est, en compétition à l'époque et plus récemment lors de séjours golfiques dans le pays de son cœur. « Je l'ai joué deux fois depuis qu'il a été refait en vue des Jeux olympiques il y a quelques années », indique-t-elle en référence aux travaux de modernisation entrepris dès 2016, deux ans et demi après l'attribution des JO à Tokyo, par l'architecte américain Tom Fazio et son fils Logan. « Avant, c'était un golf un peu vieillot. Il a été complètement modernisé, mais l'opération n'a pas été perçue très positivement par les membres car il a perdu un peu de son esprit d'origine. Maintenant, c'est un parcours très long, avec des obstacles bien trop éloignés des départs pour moi (rires), mais je pense qu'il va être très bien adapté à la puissance des joueurs modernes. » Avec une longueur de 6809 m pour les hommes et 6078 m pour les femmes, le défi proposé par ce par 71 s'annonce effectivement de taille !

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Le green du trou n° 1. © BEN JARED / PGA TOUR - IGF

La signature d'Alison

« Un peu vieillot », Kasumigaseki l'était certainement avant de subir sa dernière cure de jouvence. Ouvert le 6 octobre 1929, il fut le premier parcours de golf de la région, et l'un des premiers dans tout le Japon où la petite balle blanche débarqua au début du XX° siècle dans les valises d'un exploitant anglais de thé, comme l'indique le Guide Rolex des 1000 Meilleurs Golfs du monde. Le parcours Est, dont la naissance précède de trois années celle de l'Ouest, fut dessiné par cinq membres fondateurs dont Kinya Fujita (1889-1970), un homme d'affaires qui avait découvert le jeu lors de ses études à l'université Columbia à New York. Le tracé subit deux ans après de substantielles modifications, apportées par l'architecte britannique Charles H. Alison, un associé des fameux Harry Colt et Alistair Mackenzie« Alison arriva au Japon en décembre 1930 et n'y resta que quelques mois, mais il y dessina et rénova plusieurs parcours, à tel point que son impact sur le golf au Japon se fait encore aujourd'hui ressentir. […] Il est considéré comme le père de l'architecture japonaise autant par les tracés sur lesquels il intervint que par son influence sur Seiichi Inoue et Osamu Ueda, deux des plus grands architectes du pays », indique un article publié samedi dernier sur le site du PGA Tour.

Pendant trois quarts de siècle, Kasumigaseki fut donc l'un des hauts lieux du golf au Japon, un temple qui accueillit l'open national en 1933, 1956, 1995 et 2006, l'open féminin en 1999, les championnats amateurs du pays à plusieurs reprises et l'Asian Amateur Championship en 2010, remporté par un certain Hideki Matsuyama... Mais c'est surtout l'accueil de la Canada Cup en 1957 qui le révéla au monde : lors de la cinquième édition de cette épreuve, qui deviendrait par la suite la Coupe du monde, l'équipe locale composée de Torakichi Nakamura et Koichi Ono s'imposa devant les États-Unis de Sam Snead et l'Afrique du Sud de Gary Player. Cette victoire fit les gros titres de la presse et provoqua un fol engouement populaire pour le golf, qui devint en deux décennies le deuxième sport le plus pratiqué dans le pays (plus de 20 millions à son pic !) et fit du Japon le deuxième pays du monde en nombre de pratiquants. « Il fallut répondre à la demande extraordinaire de ces millions de gens qui voulaient taper dans une balle, et c'est ainsi que furent créés ces practices à étages que l'on voit dans toutes les villes, car déjà à l'époque on manquait de place. Par ricochet, des parcours furent à leur tour construits, et on passa en très peu de temps d'une vingtaine de golfs dans tout le Japon à deux mille cinq cents », résume Nathalie Jeanson.

La fin des double greens

Kasumigaseki est donc l'un de ces grands et glorieux anciens, et partageait avec la plupart des golfs du pays - jusqu'à sa dernière rénovation - une spécificité toute japonaise : les double greens. « Historiquement, les golfs japonais avaient deux greens à chaque trou, l'un en bent grass ("agrostis" en français) et l'autre en korai ("zoysia matrella", dite gazon haïtien), une herbe plus rêche qui demande une technique un peu différente, d'être un peu plus frappée avec les mains et les poignets que coulée comme sur une herbe standard chez nous. La raison pour laquelle il y avait ces deux greens, c'est qu'à l'époque où le golf était en plein boom au Japon, il y avait un nombre impressionnant de joueurs sur les parcours, au moins 250 par jour, donc les golfs ne pouvaient pas tenir sur l'année avec une telle fréquentation. Il fallait donc qu'il y ait un green qui se repose pendant que l'autre était utilisé, et c'est vrai que l'alternance se faisait un peu en fonction de la saison et du meilleur parti qu'on pouvait tirer de telle ou telle herbe en termes d'entretien », poursuite Nathalie Jeanson. Aujourd'hui, l'Est – comme l'Ouest du reste – a été américanisé, et ces doubles greens ne sont plus qu'un lointain souvenir. Et un nouveau chapitre de l'histoire de Kasumigaseki, du golf au Japon et du golf en général est sur le point de s'écrire. Jeudi, à 7 h 30, Rikuya Hoshino tapera le premier drive des épreuves olympiques de ゴルフ de Tokyo 2020.

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Le green du trou n° 8. © BEN JARED / PGA TOUR - IGF