Depuis l’entrée en vigueur du nouveau mode de calcul du classement mondial messieurs, les tournois du DP World Tour, de manière mécanique, rapportent moins que ceux du circuit américain en termes de points. Une situation parfois mal digérée par les joueurs du Vieux continent.

La victoire d'Antoine Rozner à Maurice lui a rapporté environ trois fois moins de points mondiaux que si elle était arrivée six mois plus tôt. © STUART FRANKLIN / GETTY IMAGES EUROPE / GETTY IMAGES VIA AFP

Que disent les chiffres ?

Les victoires récentes d’Antoine Rozner (à l’Afrasia Bank Mauritius Open) et de Victor Perez (à l’Abu Dhabi HSBC Championship), toutes deux glanées sur le DP World Tour, ont jeté une lumière crue sur un phénomène à l’œuvre depuis quelques mois : le circuit du Vieux continent rapporte beaucoup moins de points que le PGA Tour nord-américain au classement mondial. Il en rapportait déjà moins auparavant, mais là, ça commence à faire masse.

Prenons un exemple : en mai 2022, par sa victoire aux Pays-Bas à une époque où régnait encore "l’ancien système", Victor Perez a inscrit 24 points au classement mondial. Huit mois plus tard, en s’imposant à Maurice, Antoine Rozner n’en a inscrit que… 8,5. Sur les tournois plus conséquents, même topo : Perez a engrangé 25,9 points en s’imposant en janvier au Yas Links. Plus tard dans la même journée, et si l’on admet que l’on fait cadeau des dixièmes, Jon Rahm a inscrit deux fois plus de points en remportant l’American Express, sur le PGA Tour. Bref, on peut retourner la chose dans tous les sens, il est un fait : l’écart entre les deux circuits, si l’on parle uniquement des points qu’ils rapportent au classement mondial, grandit.

D’où cela vient-il ?

Le phénomène n'a que très peu à voir avec la qualité de jeu intrinsèque des joueurs sur les deux côtés de l'Atlantique. Il est avant tout mécanique. Tout d’abord, quelques explications rapides sur la manière dont l’Official World Golf Ranking, nom de scène du classement mondial professionnel messieurs, fonctionne. Restez, ça ne parlera pas de maths.

Le système, qui prend en compte les résultats des deux dernières années, est basé sur le niveau général du champ de joueurs d’un tournoi auquel un joueur participe. Plus les participants sont bien classés, plus la performance du joueur rapportera de points s’ils se classe dans les places récompensées. À ce titre, gagner un Majeur rapportera plus que gagner un tournoi régulier, qui lui-même rapportera plus qu’un tournoi de circuit de deuxième division. Jusque-là, tout est logique.

Pour lui garder une pertinence maximale, les sept membres de la structure gérant le classement mondial procèdent, à intervalles assez réguliers de deux à trois ans, à des ajustements de méthode de calcul. Ces sept membres sont la PGA of America, la Fédération internationale des circuits PGA, l’USGA, le PGA Tour, l’Augusta National, le R&A et la PGA européenne. Dit en un mot, tous les poids lourds du golf professionnel masculin de cette planète, englobant à eux sept les quatre Majeurs et tous les circuits considérés comme de première division, sans parler de leurs nombreux satellites.

La dernière réforme a été annoncée en août 2021, avant d’entrer en vigueur un an plus tard. Elle contenait, entre autres choses, une mesure responsable en grande partie de l’agrandissement de l’écart entre le PGA Tour et les autres (car le DP World Tour n’est pas le seul concerné) : la fin du minimum de points garantis à chaque circuit.

Concrètement, avant août 2022, les tournois du DP World Tour avec les champs les plus faibles offraient malgré tout la garantie à leur vainqueur d’inscrire 24 points au classement mondial. D’où la somme récoltée, d’ailleurs, par Victor Perez aux Pays-Bas. Une disposition qui irritait certains membres du PGA Tour, s’estimant quelque peu pénalisés. Or donc, cette disposition a disparu, et désormais, les tournois sont évalués sans tenir compte de leur circuit d’appartenance.

1,9

L'ÉCART ENTRE LE NOMBRE DE POINTS MONDIAUX GAGNÉS PAR VICTOR PEREZ LORS DE SA VICTOIRE AUX PAYS-BAS, EN MAI 2022 (24) ET LORS DE SON SUCCÈS À ABOU DHABI, EN JANVIER 2023 (25,9). LE SECOND TOURNOI, ÉTAPE DES ROLEX SERIES, ÉTAIT POURTANT CINQ FOIS MIEUX DOTÉ.

Victor Perez, lors de sa victoire à l'Abu Dhabi HSBC Championship, en janvier.

Et alors ?

Mais alors, quel est le problème ? Rendre le classement plus juste ne va-t-il pas dans le bon sens ? L’ambition affichée par le comité au moment de la mise en œuvre de la réforme était en tout cas clairement celui-là : débarrasser le classement de ce qui était considéré comme des biais, et ne lui appliquer que la réalité du terrain. Sauf que…

Déjà, le nouveau système en lui-même montre parfois quelques faiblesses structurelles. Ainsi, la semaine passée, l’Américain Chris Kirk, en remportant le Honda Classic, sur le PGA Tour, a inscrit 31 points. Il triomphait alors d’un champ de joueurs où figuraient sept membres du top 50 mondial, le meilleur d’entre eux étant classé 18e. Pourtant, fin janvier, lors du Hero Dubai Desert ClassicRory McIlroy s’est imposé à l’issue d’un tournoi auquel participaient neuf membres du top 50, dont le n°1 mondial (qui n'était autre que lui-même). Combien de points a-t-il marqués ? "Seulement" 29.

« Ça ne va faire qu’empirer »

Et puis demeure l’autre problème : celui de la dynamique du système, à mesure que les tournois, voire les saisons, vont s’enchaîner. « C’est un écart qui, a priori, ne va faire qu’empirer, résume Antoine RoznerCe dont on se rend compte, c’est que le système de calcul nous fait marquer vraiment très peu de points, et surtout beaucoup moins qu’avant. Les joueurs du DP World Tour vont peu à peu perdre des places au ranking, et on va encore avoir moins de points. »

Typiquement, les 8,5 points de la victoire du Francilien à Maurice, fin décembre, lui ont moins rapporté que le nombre de points "plancher" accordé, à l’époque, aux tournois du Challenge Tour, la deuxième division européenne. « Je suis conscient que c’était sûrement le plus petit champ de l’année, admet-il. 24 points, comme dans l’ancien système, c’était sûrement trop. Mais 8,5 points, c’était quand même pas beaucoup. La je suis à peu près 140e joueur mondial. Sans vouloir me plaindre, dans l’ancien système, je serais largement top 100. Aujourd’hui, entrer dans le top 50 en ne jouant que des tournois réguliers du DP World Tour, c’est quasiment impossible. » Et revient la petite musique du classement plus ou moins biaisé, mais cette fois émise depuis l’autre rive de l’Atlantique.

Un problème de Majeurs

Ayant vu naître le classement mondial lorsqu’il était professionnel de circuit, Patrice Barquez, aujourd’hui consultant pour Canal +, est encore plus direct. « Je pense que ce classement mondial, il bat de l’aile, il n’a plus de sens, lance-t-il. Il faudrait, dans l’idéal, retrouver un système plus simple, plus basique, comme au tennis. Mais dans le golf, c’est compliqué, car il y a les PGA, et en plus les Majeurs, qui sont indépendants. »

Les Majeurs, justement, sont l’une des données principales du problème. En effet, même si des épreuves de qualification existent pour trois d’entre eux, la possibilité d’y participer est largement conditionnée par le classement mondial. « Typiquement, ne pas être dans le top 100 mondial, ça m’enlève la possibilité de jouer le PGA Championship, illustre Antoine Rozner. Et, pourquoi pas, d’y faire une belle performance. »

Autre possibilité, pour grimper dans la hiérarchie mondiale : accrocher le top 10 de la Race to Dubai en fin de saison, pour gagner un droit de jeu sur le PGA Tour. Une nouveauté de cette saison 2023 qui offre une belle opportunité aux meilleurs joueurs du circuit basé à Wentworth. Mais pour ce dernier, cette passerelle est également la vision d’un écart qui, mécaniquement, continuerait de grandir.