Retirée des circuits professionnels depuis bientôt trois ans, la légende du golf européen aux 14 victoires sur le LET est toujours en contact avec le golf de haut niveau : responsable de l'équipe de France Girls, Gwladys Nocera « s'éclate » dans cette nouvelle carrière qui lui permet de transmettre son expérience aux championnes de demain.

© Tristan Jones / LET

Comment avez-vous découvert le golf ?
Vers l'âge de cinq ans, avec mes parents qui jouaient régulièrement sur un neuf trous à Montluçon. Avec ma sœur, on allait au golf avec eux, mais je ne jouais pas vraiment à cette époque-là, disons que je m'amusais à tapoter dans la balle. À sept ans, je suis rentrée à l'école de golf à Vichy, où je prenais des leçons tous les mercredis, mais c'est essentiellement mon père qui m'a formée. Mon premier coach, c'est mon père. Il s'y était mis sur le tard par le biais d'un copain, il a très vite accroché et nous a transmis sa passion à ma sœur (Estelle, directrice du golf de Chiberta, ndlr) et moi. J'allais avec mon père plusieurs fois par semaine sur le parcours, jusqu'à ce que ma progression m'amène à m'entraîner avec Anne Le Coniat, qui était entraîneur national. Elle m'a beaucoup apporté à tous les niveaux, que ce soit technique ou stratégique, et m'a permis d'avoir de très bons résultats chez les amateurs et de pouvoir envisager une carrière professionnelle.

Vous êtes pourtant passée pro sur le tard, à 27 ans. Pourquoi ?
En arrivant à l'âge adulte, j'ai eu beaucoup de travail à faire sur moi-même pour avoir davantage confiance en moi, croire que ce dont je rêvais était possible. Quand j'étais dans les équipes de France, j'étais plutôt la cinquième ou sixième sélectionnée que la première, mais je ne me rendais pas compte à l'époque que les filles avec qui j'évoluais étaient très, très fortes. Je pensais que je n'avais pas le niveau. C'est un peu ce qui m'a poussée à partir étudier aux États-Unis. Sauf qu'à l'époque, ce n'était pas aussi facile qu'aujourd'hui, il y avait peu de Françaises qui tentaient l'aventure et c'était souvent des filles des gros clubs parisiens. Moi, j'étais une petite Auvergnate, et je ne savais même pas que j'y avais droit aussi... Donc j'ai perdu beaucoup de temps à cette époque. Je suis finalement partie à 21 ans car c'était impossible d'allier golf de haut niveau et études à l'UFR Staps de Clermont-Ferrand que j'avais intégré. J'avais fait des demandes par courrier, comme on faisait à l'époque, et ça a pris un peu de temps à se concrétiser ! En rentrant du Nouveau-Mexique, à 26 ans, j'ai fait une année de transition, ma dernière chez les amateurs, qui m'a permis de me recaler physiquement et de gagner quelques belles compétitions internationales. Et comme j'avais décidé lors de ma dernière année d'études aux USA de passer pro, j'ai profité de cette année de transition pour bien m'y préparer.

Aux USA, vous avez fait une belle carrière ?
Oui, même si je n'ai pas joué les quatre années complètes. J'ai fait deux fois la finale du NCAA Championship, j'ai plutôt bien joué. Je n'avais pas de coach là-bas, j'étais complètement livrée à moi-même, donc c'était une expérience très formatrice ! Cela dit, la Fédération avait envoyé Anne voir certaines filles aux États-Unis, dont moi. Elle ne l'a fait qu'une fois, mais c'était déjà bien : on était à la fin des années 90, et c'était le début de l'intérêt de la Fédération pour ce qui se passe de l'autre côté de l'Atlantique.

Fin 2002, vous décrochez votre carte du Ladies European Tour et vous débarquez chez les pros début 2003, dans un univers que vous ne connaissez pas du tout... Comment se sont passés vos débuts ?
Effectivement, j'ai débarqué dans l'inconnu, j'avais juste participé à l'open de France l'année précédente. Mais j'ai eu la chance d'être entourée par de super copines à mon arrivée sur le circuit : je pense à Ludivine Kreutz, qui a été comme une grande sœur et m'a énormément aidée, et à Marine Monnet qui était à cette époque dans le top 10 européen. Elles m'ont montré la voie et aidé à croire que c'était faisable, à condition d'être sérieuse et de bosser.

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Avec Olivier Léglise © Alexis Orloff - ffgolf

Dès votre première année pro, vous avez décidé de faire appel à Olivier Léglise. Pour franchir un cap ?

J'ai fait mes six premiers mois chez les pros avec Anne Le Coniat, et effectivement courant 2003 je suis passé avec Olivier Léglise. À l'époque, il travaillait à plein temps pour la Fédération, et c'était du pain béni pour moi car il venait beaucoup en tournoi. Je suis partie m'installer à Biarritz pour pouvoir le voir tous les jours. On bossait énormément, et la Fédération m'a beaucoup aidée financièrement pour que je puisse fonctionner comme ça. En y repensant, tout était réuni pour que ça fonctionne. Olivier m'a apporté une rigueur à tous niveaux qui m'a fait franchir un cap, oui. On a passé des heures au practice à caler mon swing, car j'avais quelques trucs à changer pour le faire évoluer et le rendre plus performant. Ce qu'on cherchait, c'était un geste plus masculin, entre guillemets : j'avais un backswing un peu grand qui coupait la ligne en haut et me faisait revenir par l'intérieur, donc je faisais souvent des pushs et j'étais incapable de taper un fade. On voulait vraiment le rendre plus efficace pour que je sois au niveau chez les pros, sur des parcours plus difficiles et face à une concurrence plus forte.

Est-ce que vous aviez des modèles, des joueuses que vous admiriez, lors de vos premières saisons sur le LET ?
Marie-Laure de Lorenzi est la première à m'avoir inspirée, mais je n'étais pas encore pro car elle a eu ses grandes heures de gloire quand j'étais encore amateur. Une fois sur le circuit, comme tout le monde je suis tombée en admiration devant Laura Davies. On dit qu'elle gagne parce qu'elle tape très fort, mais c'est réducteur : elle a des mains d'or, un petit jeu incroyable, c'est une vraie sportive, une battante qui ne lâche rien. C'est vraiment elle qui a le plus influencé ma génération.

Fin 2009, après sept saisons en Europe marquées par dix victoires et un ordre du mérite en 2008, vous vous décidez à tenter l'aventure américaine et obtenez votre droit de jeu sur le LPGA Tour pour 2010. Qu'avez-vous retiré des deux années passées outre-Atlantique ?
J'ai passé une année 2010 fantastique, puisque j'ai fini deuxième d'un tournoi, sixième d'un autre, j'étais suffisamment bien placée au ranking pour jouer tous les tournois à champ limité de fin d'année, donc pour une saison de rookie c'était vraiment très bien. J'étais dans la découverte d'un monde nouveau, du rêve américain. L'année suivante, je pensais pouvoir faire mieux, je me suis fixé des objectifs probablement trop élevés, j'ai commencé à moins bien jouer et à perdre confiance. Il y a eu des choses qui se sont passées en dehors du golf aussi, et tout ça a fait que tout s'est effrité. Je ne passais plus un cut, c'est devenu vraiment compliqué d'autant plus que j'étais seule là-bas. J'aurais pu aller vers certaines joueuses pour essayer de m'en sortir, mais je suis quelqu'un qui a du mal à demander de l'aide aux autres et j'ai fait le choix d'essayer d'y arriver seule. Donc j'ai tout pris pleine face... À la fin de cette saison 2011, j'avais la possibilité de repasser par la finale des cartes ou de jouer en 2012 avec une catégorie partielle, mais j'ai décidé de rentrer en France. J'avais trente-six ans, et être aussi malheureuse alors que je vivais de ma passion, ce n'était pas cohérent. Prendre des claques toutes les semaines, c'est normal quand on a vingt ans, qu'on est en début de carrière, mais pas à trente-six ! Et puis j'ai perdu énormément d'argent cette saison-là, donc tout ça m'a amené à rentrer en France. Mais avec l'objectif d'être meilleure : il était hors de question de revenir en Europe pour retrouver une routine de confort. Et c'est là que j'ai appelé Benoît.

Votre période américaine s'est déroulée sous la houlette d'un coach australien, Ian Triggs. Qu'avez-vous retiré de son enseignement ?
Avec lui, c'était vraiment un niveau au-dessus, car tout était fait et perfectionné dans les moindres détails. Chaque balle était tapée avec une intensité incroyable : c'était très dur de travailler avec lui, car son niveau d'exigence était extrêmement élevé. Il a quand même coaché quelques-unes des meilleures joueuse dont monde, dont Karrie Webb pendant presque toute sa carrière... Il m'a appris beaucoup de choses lui aussi, et surtout il a été présent quand j'étais au fond du seau. Il avait fait la promesse de ne pas me lâcher tant que je ne regagnerai pas, et il l'a tenue. Au-delà de la collaboration, je retiens surtout la relation humaine qu'on a eue, qui a été très importante pour moi. On a essayé de continuer un tout petit peu après mon retour en Europe, mais c'était trop compliqué car il vivait en Australie et coachait aux États-Unis, donc il ne pouvait pas venir ici en plus de ça. On a décidé d'arrêter plus à cause de la logistique qu'autre chose.

Avec Ian Triggs, chaque balle était tapée avec une intensité incroyable. C'était très dur de travailler avec lui, car son niveau d'exigence était extrêmement élevé.

Le haut niveau américain, ça ressemblait à ce que vous connaissiez ?
Non, évidemment c'était un gros cran au-dessus. Le LPGA Tour, ce sont les meilleures mondiales, donc il y a une exigence plus élevée, une qualité d'entraînement plus élevée, une quantité d'entraînement plus élevés aussi... Tout est beaucoup plus professionnel. Par exemple, là-bas on est obligée d'avoir un cadet, alors que ce n'est pas le cas sur le Ladies European Tour. Il y a plein de choses qui font que c'est vraiment un niveau au-dessus. C'est un peu la même différence entre le basket européen, où ça joue certes très bien, et la NBA, qui est vraiment la crème de la crème.

De retour en Europe, vous débutez votre dernière partie de carrière aux côtés de Benoît Ducoulombier. Que vous a-t-il apporté ?
Avant tout, il m'a aidée à profiter à fond de mes dernières années au plus haut niveau. On savait très bien tous les deux que je me rapprochais de la fin, et il a tout fait pour que je m'éclate en tournoi, pour que je profite du moment présent. Avec son côté un peu foufou, m'a aidée à retrouver le plaisir du jeu que j'avais un peu perdu en 2011. Je le connaissais depuis l'époque où je travaillais avec Olivier, et j'avais toujours pensé que ça ne pourrait jamais coller entre lui et moi, puisque nous avons des caractères très différents. Et je me suis retrouvée à le solliciter quinze ans après, et à m'éclater avec lui ! Ça démontre qu'on ne pas voir un coach par hasard : on y va parce qu'il correspond à une attente. Et à cette époque-là, j'avais besoin de lui, et il a fait ce qu'il fallait pour me faire revenir à mon meilleur niveau. Techniquement, il m'a fait progresser au wedging et au chipping, et sa présence fréquente en tournoi m'a fait beaucoup de bien. On a aussi bougé des choses au niveau de la technique, car le swing de golf, c'est une histoire sans fin ! On cherchait comme toujours une frappe de balle plus consistante, un geste plus régulier.

Aujourd'hui, vous voilà coach à votre tour. Comment vous est venue cette vocation ?
Je ne saurais pas vraiment le dire... C'est un peu comme pour mon passage pro : c'est une réflexion qui a pris du temps. Je me suis rendue compte, après coup, que durant mes dernières saisons en tant que joueuse, j'avais commencé à regarder les filles swinguer au practice, à observer ce qu'elles faisaient et à imaginer ce que je pourrais leur dire pour les aider. Ça commençait à germer en moi, mais je n'en étais pas encore vraiment consciente. Une fois la décision prise d'arrêter ma carrière, je me suis dit que j'avais peut-être deux ou trois choses à apprendre aux plus jeunes, donc j'ai contacté la Fédération dans cette optique. En 2018, j'ai fait quelques journées avec les Girls, pas beaucoup car j'étais enceinte à cette époque, mais c'était déjà une première expérience de l'autre côté de la barrière pour voir si ça me convenait. Il était hors de question de me lancer dans le coaching si je n'étais pas convaincue que c'était fait pour moi. L'idée, c'était d'essayer, et aussi de voir si les jeunes y trouvaient leur compte. Et ça s'est bien passé, et l'année suivante j'ai fait un peu plus de journées, la suivante aussi, etc. Aujourd'hui j'interviens deux jours par semaine au centre de performance au Golf National ; j'entraîne en individuel Clémence Martin, une joueuse du Paris Country Club qui s'apprête à partir aux États-Unis pour faire ses études, et je suis responsable de l'équipe de France Girls.

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Avec Benoît Ducoulombier © Alexis Orloff - ffgolf

À quel moment avez-vous passé vos diplômes d'entraîneur ?
Je l'avais fait en tout début de carrière : le premier niveau à l'âge de 19 ans ; et le deuxième au cours de ma première année chez les pros. C'était un petit backup intéressant d'une part, et puis je trouve essentiel, quand on joue à haut niveau, de comprendre un minimum comment tout ça fonctionne, le swing, les trajectoires, etc. C'était intéressant à tous points de vue.

De quelle façon intervenez-vous auprès de vos élèves ?
J'interviens beaucoup sur la stratégie sur le parcours parce que mon expérience de joueuse me conduit naturellement à le faire. Cela dit, pour pouvoir appliquer telle ou telle stratégie, il faut être au point techniquement, maîtriser les trajectoires de balle, donc à la base de ce que je fais, il y a la nécessité d'avoir une bonne technique. J'aime emmener les jeunes sur le parcours pour travailler en situation des coups qui répondent à un choix stratégique. La séance classique avec moi, c'est d'abord un travail technique pur et dur, que ce soit au grand jeu ou au petit jeu ; et ensuite une mise en situation sur le parcours ou par un exercice de performance. C'est évident que les jeunes ont plein de choses à apprendre sur un parcours, en termes d'observation des pentes, des reliefs, du vent ou du grain de l'herbe, mais avant de penser à tout ça il faut intervenir sur leur technique pour qu'ils la maîtrisent et puissent alors se concentrer sur ces autres paramètres.

En golf, on est obligé de faire de la technique en quantité pour qu'ensuite, quand on arrive au départ du 1, il ne reste plus qu'à déployer son jeu.

Avez-vous une philosophie bien déterminée en matière de technique ?
Naturellement, j'essaie d'adapter mon discours à chacun. Chaque joueur a une signature de swing, une tendance naturelle de trajectoire. Ce qu'un coach doit faire, c'est rendre cette trajectoire répétitive, et faire en sorte que quand un mauvais coup sort, on sache pourquoi, et comment faire pour le combattre. Il ne s'agit pas de donner le même swing à tout le monde, mais d'optimiser le mouvement de chacun pour « boîter » le plus de shots possibles !

Quel est votre constat du niveau actuel des jeunes ?
Ils swinguent vraiment bien, c'est indéniable, mais évidemment ça ne fait pas tout. Il faut être capable de scorer sur le parcours, c'est la finalité du jeu de golf, donc le travail consiste à les amener à être performants en compétition. Quand on est petit, on a tendance à taper des balles car on n'a pas beaucoup de temps, une ou deux heures par semaine. Donc on ne s'entraîne pas vraiment : on tape des balles. C'est là que se situe le gros du travail du coach quand ces petits grandissent et progressent : il faut optimiser le temps passé au practice, y aller avec des objectifs précis et mettre à profit le temps passé sur un tapis pour cocher les cases qu'on a identifié. Ma sensibilité à moi, c'est le jeu, la compétition, donc j'essaie de faire en sorte que quand les jeunes vont sur le parcours, c'est pour s'entraîner à la performance. C'est comme un pianiste : il doit répéter ses gammes avant de pouvoir produire son spectacle. En golf, on est obligé de faire de la technique en quantité pour qu'ensuite, quand on arrive au départ du 1, il ne reste plus qu'à déployer son jeu.

Dans le cadre de vos fonctions de coach, quelles sont vos échéances ?
Il y a bien sûr les championnats du monde par équipes en 2022, qui auront lieu en France fin août au Golf National et à Saint-Nom-la-Bretèche. C'est Patricia Meunier-Lebouc qui est concernée au premier chef, puisqu'elle est responsable de l'équipe de France Dames, mais évidemment mon objectif en tant que coach des Girls est d'avoir des filles dans l'équipe ! L'idéal serait que les Girls poussent les Dames vers le haut pour qu'une dynamique de saine concurrence se mette en place et tire tout le monde vers le haut. Après, en dehors de ma mission fédérale, j'aimerais aussi coacher des pros. Ce n'est pas évident de se faire une place dans ce milieu en tant que femme, mais je crois que c'est possible. Les femmes ont les mêmes yeux que les hommes, et j'ai quand même une certaine expérience du haut niveau, donc je vais prendre mon temps mais je compte bien y arriver. Pour l'instant, je m'éclate avec les Girls et je vis à fond mon temps passé avec elles, mais je suis sûre que pour moi les choses évolueront dans le bon sens avec le temps.