Parmi les dix Bleus ayant fait le déplacement à Maurice la semaine passée, il en est un dont le patronyme est encore méconnu. Exilé sur le Sunshine Tour, Pierre Viallaneix a fait le choix d’une discrétion certaine, persuadé qu’elle l’amènera vite en Europe.
Le fait de débarquer sur un circuit dont on n’est pas membre s’accompagne souvent d’un lot de regards interrogatifs. Caddie, athlète, coach, frère de joueur… un visage méconnu peut-être celui de n’importe qui. Celui de Pierre Viallaneix à l’AfrAsia Bank Mauritius Open, a cumulé beaucoup de questions. Outre celles qui concernent sa carrière professionnelle en construction, il y a celles que ce personnage singulier portent naturellement. Son accent parfait d’outre-Atlantique laisse penser qu’un Yankee est venu tester son jeu sur les circuits d’Europe. Ses pommettes saillantes et sa peau typée renvoient aux traits des Sherpas tandis que sa maîtrise du Français semble indiquer une longue accointance avec la culture de l’Hexagone.
Mais lorsque l’on regarde la fiche du joueur sur le site de l’évènement, c’est bien le drapeau tricolore qui accompagne sa photo. Cette semaine-là, il était donc l’un des dix Français à jouer le dernier tournoi de l’année calendaire, à Maurice. Une opportunité saisie en tant que joueur du Sunshine Tour, circuit qui co-sanctionnait l’épreuve. Là-bas, il a retrouvé un visage plus familier qu’un autre : celui de Tom Vaillant. Au cours d’un échange, les deux jeunes hommes se sont renvoyés au souvenir d’une courte expérience vécue ensemble en 2022, celle des championnats d’Europe amateurs par équipes au Royal St George’s (Angleterre). Un moment fort qui marquait pour Pierre la toute première sélection sous le drapeau français ; la dernière également, avant son passage professionnel un an plus tard. Formé dans le système universitaire américain, le joueur de bientôt 26 ans a longtemps aiguisé son jeu loin de la France, au sein de la Florida Gulf Coast University. « Je suis un Français en Amérique et un Américain un France » plaisante-t-il. Né d’un père français et d’une mère népalaise, titulaire de la nationalité américaine pour y être né dans un hôpital d’Orlando - l’hôpital Arnold Palmer - qui le prédestinait à une carrière de golfeur, ce Normand des quatre coins du monde ne rentre dans aucune case préconçue. Son parcours le définit comme un itinérant, lui se dit « citoyen du monde mais avant-tout français » dont la maison est « là où sont [s]es clubs. »
Le Sunshine Tour pour l'Europe
Aujourd’hui, le sac a établi domicile dans un Airbnb de « Joburg. » Car pour sa deuxième année professionnelle, le jeune pro a fait un choix peu conventionnel. Plutôt que de s’entêter sur les circuits satellites européens que sont l’Alps Tour ou le Pro Golf Tour, Pierre a pris la direction de l’Afrique du Sud et de son circuit pro. « J’ai bien essayé de passer les cartes européennes et même celles de l’Asian Tour mais je les ai manquées » retrace-t-il depuis son passage professionnel deux ans plus tôt. Les Monday Qualifiers, ces fameuses qualifications du PGA Tour organisées chaque lundi pour entrer dans le champ de l’événement qui suit le jeudi, ont aussi rythmé son agenda pendant un temps. « J’ai manqué plusieurs tournois pour un coup et je payais 500 dollars à chaque qualification donc ça devenait trop cher. » Alors il a fallu trouver une alternative. « Il fallait que je joue sur un circuit et le Sunshine a l’avantage de ne pas coûter cher à l’année et de comporter des tournois de quatre jours. »
Ses débuts ont connu quelques anicroches. Sur les fairways, les résultats mettent du temps à venir. En dehors, le jeune a manqué de repères : « Je me suis fait avoir sur les tarifs de mon premier caddie. Là-bas, lorsqu’ils voient un Européen arriver sur le circuit, ils voient vite le porte-feuille » raconte-t-il. Alors en 2025, il change de co-pilote et s’associe avec Temba, « un beau bébé d’un mètre quatre-vingt dix et plus de cent dix kilos » dont les trente années de caddeyage n’ont pas permis beaucoup d’affûtage. « J’ai appris un mot avec lui : spagela. Ça veut dire ‘buffet à volonté’ en zoulou » s’amuse Pierre en dévoilant l’une des facettes de son garde du corps. Car le quinquagénaire au caractère bien affirmé, parfois bourru, tient une attitude paternelle avec son jeune joueur : au détour d’un déjeuner lors du premier jour de reconnaissance à Maurice, il s’assurait que le Français était passé voir le médecin pour vérifier des piqûres de fourmis. À Johannesburg la semaine précédente, « il a demandé à l’accueil de l’hôtel d’être prévenu s’il m’arrivait quelque chose vu que la ville n’est pas toujours sûre. Comme ça il rappliquait pour m’aider » sourit le protégé.
Un chemin tout tracé
Tout en sécurité, le duo a progressivement cumulé les bons résultats. Un premier top 10, puis plusieurs positions de prétendant à la victoire, de façon régulière. Pour cette dernière semaine compétitive de l’année, la paire était à l’assaut de l’Héritage La Réserve Golf Links pour une nouvelle occasion de briller sur la première division européenne. Une opportunité dans la même veine que l’Alfred Dunhill Championship quelques jours plus tôt, où Pierre et Temba sont apparus dans le top 10 après deux tours et deux cartes de 68 (-4). « Parfois, le DP World Tour et le PGA Tour me paraissent loin, ressasse le joueur. Mais depuis plusieurs semaines, je suis content de ce que je vois quand je me regarde dans le miroir et je me dis que je suis de moins en moins loin de ces circuits. » Loin de toute prétention, le jeune homme est bonnement réaliste. « Mon caddie me dit toujours, ‘souviens-toi où sont tes pieds’ pour être sûr que je ne m’emballe pas. »
Déterminé à ne pas passer dix années sur le tour sud-africain, il espère vite profiter de la passerelle directe qu’offre l’ordre du mérite : un droit de jeu pour les trois meilleurs hommes en fin de saison. Actuellement 39e après 19 tournois joués, le chemin est moins long que par le passé. Et d’ici la fin de saison en mars, quelques rendez-vous en commun avec l’HotelPlanner Tour donneront au Tricolore la possibilité de glaner une éventuelle carte, quelques invitations et, à défaut, une expérience nécessaire à sa progression. « J’ai mis du temps à le comprendre lorsque j’étais amateur mais désormais, je sais qu’il faut que je fasse les choses à fond. Je crois à la réussite de mon objectif. » De retour en France pour quelques jours où il profitera de la maison normande de ses grands-parents pour se ressourcer et se « recentrer mentalement », Pierre Viallaneix attaquera 2026 avec la même faim de rejoindre les Julien Sale, Martin Couvra et Tom Vaillant avec qui il partageait le polo France. Son chemin, déjà singulier, est autre chose qu’une simple quête de résultats. Il est celui d’un jeune joueur qui a fait le pari de se construire, patiemment et intelligemment, avec le monde pour terrain d’apprentissage ; convaincu que le bon train finit toujours par passer.