Le 18 avril 1993, Jean Van de Velde remportait le Roma Masters. Trente ans plus tard jour pour jour, il revient avec émotion sur cette première victoire d'un golfeur français sur le Tour européen.

« La coupe était énorme, j'ai eu du mal à la soulever ! » © Steve Munday / All Sports, in Golf Européen de mai 1993.

Soyons honnête : il ne s'en souvient pas comme si c'était hier. Ni même avant-hier, d'ailleurs ! Son caddie, au moment des faits ? « Aucune idée... Un Anglais, sans doute ». Son entraîneur ? « Je travaillais depuis longtemps déjà avec David Leadbetter, mais je ne sais plus si j'avais René Darrieumerlou comme relais en France. » Son lieu de résidence ? « Est-ce que j'étais encore à Mont-de-Marsan ou déjà à Genève ? Pfff... Ça fait trente ans, quand même ! » Trente ans, jour pour jour, que Jean Van de Velde a remporté le Roma Masters, étape italienne de ce qu'on appelait à l'époque l'European Tour. Trois décennies, précisément, que le Landais alors âgé de 26 ans offrait à la France son premier succès sur le circuit européen, constitué officiellement en 1972. « Il y a de grands joueurs français qui ont gagné des opens nationaux bien avant moi, comme Arnaud Massy ou Jean Garaïalde, mais à leur époque le Tour n'était pas structuré. J'étais effectivement le premier Français à signer une victoire sur le circuit européen tel qu'on le connaît », nuance l'intéressé. Quarante-cinq autres ont suivi depuis, de celle de Marc Farry en Allemagne trois ans après à la dernière en date, signée Victor Perez fin janvier à Abou Dhabi.

« Il y avait du beau linge ! »

Cette première victoire fut tout sauf facile à aller chercher, dans un tournoi certes modestement doté (300 000 livres sterling, dans la moyenne basse du circuit cette année-là), mais au champ de joueurs relevé. Sur le leaderboard, quelques noms sont en effet bien familiers : Costantino Rocca, Darren Clarke, Barry Lane, Retief Goosen, Sam Torrance, Paul Broadhurst, Alex Cejka ou encore Stephen Ames. « Il y avait du beau linge ! » note Van de Velde. « C'était encore le début de la saison, mais je me souviens que les médias avaient mentionné qu'il y avait les neuf premiers au classement mathématique pour la Ryder Cup à ce moment-là. » Et il y avait aussi Jean Van de Velde, pro depuis 1987 et grand espoir d'un contingent tricolore comprenant alors pas plus d'une demi-douzaine de joueurs. « Je suis arrivé sur le Tour en 1989, donc c'était ma cinquième saison. J'avais pris mes marques, j'avais appris le job, et j'avais déjà eu quelques chances de gagner que je n'avais pas converties. Cette semaine-là à Rome, j'étais sans doute dans un état d'esprit un peu différent, fort des expériences passées », avance-t-il. S'il n'avait pas participé à la première édition du tournoi l'année précédente, le natif de Mont-de-Marsan s'était très vite senti à son aise sur le tracé du Castelgandolfo Country Club, dessiné par l'architecte américain Robert Trent Jones Sr. sur le flanc de la caldeira d'un ancien volcan, au pied de la résidence d'été des papes : « C'était un parcours tout nouveau, technique, avec un dessin à l'américaine et pas mal d'eau. Il me convenait parfaitement. »

Lors du premier tour, Van de Velde avait d'ailleurs égalé le record du parcours d'un joli 66 (-6), et s'était emparé de la tête du tournoi. Le lendemain, il était toutefois rentré dans le rang, retombant en 15e position après un 76 (+4) concédé dans la pluie et le vent. Mais le samedi, trois birdies sur les quatre derniers trous pour une carte de 67 (-5) l'avaient réinstallé aux commandes ! « Je me souviens d'avoir rentré une énorme ficelle de 15 mètres, au 5 ou au 6, après avoir raté un tout petit putt de 50 cm au trou d'avant, et m'être dit qu'on faisait quand même un sport de débiles ! » indique-t-il dans un éclat de rire. Seul leader avant le dernier tour, un coup devant Jeremy Robinson, Greg Turner et Costantino Rocca, il s'était alors retrouvé dans une situation déjà vécue : celle du chassé... « Le samedi soir, j'avais dîné avec Barry Lane, et on avait discuté de cette situation d'être en dernière partie le dimanche, et de la façon de gérer cela. Cette conversation m'avait un peu éclairé par rapport à ce que j'avais l'intention de faire le lendemain », dévoile-t-il.

« On ne voyait plus la balle ! »

Le dernier tour fut épique, comme le relate avec précision notre confrère Jean-François Bessey dans les colonnes de L'Équipe (lire ci-dessous). Et si le déroulé coup par coup est évidemment bien flou trente ans après, pour ce qui est du money time, les souvenirs du vainqueur sont encore bien vivaces : « Je jouais avec Greg Turner, le Néo-Zélandais, et j'avais été en contrôle pratiquement toute la journée avant d'arriver au 15, un par 5 qu'on ne touchait pas en deux. Il y avait un lac devant le green, qui était tout en largeur et très peu profond, et derrière ce green il y avait quelques bunkers. Il y avait plein vent contre et j'avais surclubé par sécurité et essayé de taper une balle flottante, mais elle était un peu longue et j'avais fini dans un bunker derrière, complètement pluggé. On ne voyait plus la balle ! Donc je n'avais pas pu en sortir, même latéralement, et j'avais fait double. »

 

Extrait du quotidien « L'Équipe » du 19 avril 1993.

Rattrapé au 17 sur une approche rentrée par son adversaire, Jean Van de Velde n'était pas encore au bout de ses peines. « Au 18, je crois bien que j'avais pris un bunker de fairway, et je n'avais pas pu attaquer le green en deux. Lui s'était mis à 4 ou 5 m, et moi j'avais fait une approche à 7 ou 8 m de là où j'étais, à 60 m du green en contrebas. C'était donc à moi de putter, et je savais que si je ratais, c'était terminé. Et si je mettais, il avait encore un putt pour gagner », poursuit-il. « Mais j'ai mis ce putt, et lui a raté. Donc on est partis en play-off, qui a duré trois trous. Au troisième enfin, j'ai eu un putt de 2 m ou 2,50 m en montée sous le trou pour gagner, et je l'ai mis. C'était quelque chose ! » Dans la foulée, le premier Français vainqueur sur le Tour européen se voit remettre une coupe énorme – « elle était tellement lourde que j'ai eu du mal à la soulever ! » – puis file chez lui fêter très simplement cette victoire en famille. « À l'époque, on n'avait pas les téléphones portables, donc j'avais pu être tranquille ! » rigole-t-il. Les coups de fil avaient commencé le lendemain matin, à en croire cet autre article de notre confrère (lire ci-dessous), publié au surlendemain de la victoire.

Si tu voulais aller jouer avec les meilleurs, c'était sur le Tour qu'il fallait aller.

Ce succès en terre italienne donné un coup d'accélérateur à la carrière de son auteur, et surtout validé son choix d'aller chasser les birdies aux quatre coins du monde plutôt qu'au sein de nos frontières. « Il faut rappeler qu'à l'époque, on avait un circuit français très riche en nombre de tournois et en dotation, et beaucoup de joueurs préféraient rester au pays pour jouer. On voyageait moins, on était chez soi plus souvent, et on gagnait bien sa vie, donc ça se comprenait », indique Van de Velde. « Mais pour moi, le summum était d'aller sur ce Tour européen, qu'à l'époque tous les Australiens et les Sud-Africains venaient jouer au printemps, sans parler des stars qu'étaient Ballesteros, Faldo, Langer, Woosnam et Lyle. Si tu voulais aller jouer avec les meilleurs, c'était sur le Tour qu'il fallait aller. »

« La voie est désormais ouverte à d'autres exploits »

À la suite d'Emmanuel Dussart, premier Tricolore à tenter l'aventure européenne au long cours, puis de Michel Tapia, Marc Farry, Frédéric Regard ou encore Marc Pendariès, le chemin victorieux tracé par Jean Van de Velde a été emprunté par 18 autres Français. Et c'est là l'héritage le plus précieux de ce dimanche 18 avril 1993, aux yeux des observateurs – « la voie est désormais ouverte à d'autres exploits », concluait Jean-François Bessey dans les colonnes de L'Équipe – comme à ceux de son auteur. « Avant, comme on n'était pas habitués à être aux avant-postes, on a sans doute pensé inconsciemment qu'en France on ne savait pas bien jouer au golf... Alors, plus que mon cas personnel, je garde surtout de cette victoire la fierté d'avoir contribué à ce que mes compatriotes croient en eux, croient que c'était possible de gagner sur le Tour. Car avant d'en gagner plusieurs, il faut gagner la première. » Bravo et merci, Jean, à jamais le premier !

Extrait du quotidien « L'Équipe » du 20 avril 1993.