Un autre golf. Depuis un peu plus de quinze ans, des golfeurs passionnés s'amusent à créer des parcours éphémères, l'été, dans des prairies fauchées des hauteurs du Vercors. Baptisée freegolf, cette activité est entièrement gratuite. Et libre, par définition.

Qui a déjà contemplé un champ, une prairie, un espace vert et sauvage sous le soleil, en pensant qu'en faire un terrain de golf serait une idée brillante ? Qui a déjà rêvé de se prendre pour un architecte, se disant que tel par 3 habillerait parfaitement tel recoin, que tel dog-leg épouserait parfaitement tel virage, que la nature a déjà façonné ? Qui, surtout, a déjà aperçu les falaises du Vercors, son point culminant du Grand Veymont et son étonnant promontoire du mont Aiguille, et songé que jouer au golf dans ce décor serait une approximation honnête du cadre idéal ? Ces rêves, une bande de copains de la région grenobloise, passionnés de golf, les ont faits. Mieux : ils leur ont donné réalité.
Depuis 2008, chaque été, une nouvelle activité voit le jour, dans les champs qui entourent le petit village de Gresse-en-Vercors : le freegolf. Dans ce petit village de la région naturelle du Trièves, la région naturelle constituant le sud-est du département de l'Isère, les prairies à flanc de montagne servent de terrain de golf éphémère. Enneigées tout l'hiver, à 1250 m d'altitude, et sujettes à la pousse rapide de la végétation au printemps, elles deviennent praticable lorsqu'elles sont fauchées, vers la fin du mois de juin. Le principe est le même que celui du « vrai » golf : taper dans une balle alvéolée à l'aide d'un club, en partant d'une aire de départ et en direction d'un drapeau, et tâcher d'y arriver en jouant le moins de coups possible. Sauf qu'ici, pas d'histoires de roughs, de fairways ou de bunker. Même pas de trous, en réalité.
Un putting-green sur le toit du garage
« Pour faire le drapeau, on utilise simplement des fers à béton, qu'on achète pour pas cher dans le commerce, explique Jean-Pierre Aubert, animateur de l'association Golf Gresse-en-Vercors Trièves, à l'initiative du freegolf. On les coupe en deux pour qu'ils fassent environ un mètre de haut, et on y attache un bout de tissu avec du fil de fer. » Le piquet est alors planté directement dans le sol, sans qu'il y ait besoin de putter, étant donné qu'il n'y a pas de trou. Les adeptes du freegolf sont invités, à la place, à relever leur balle dès lors qu'elle repose à moins d'une longueur de putter. La partie roulée du jeu se fait entièrement après la partie en l'air, sur une moquette installée sur le toit du local où sont entreposés les engins à neige de la station de Gresse-en-Vercors.
Surtout, les membres de l'association, présidée par Michel Pecoul, peuvent s'adonner à un passe-temps rare des golfeurs, chaque début de mois de juillet lors des fauchages : l'architecture. À chaque saison, en changeant de terrain, il tracent d'abord sur le papier les neuf trous de ce qui constituera le parcours de freegolf de l'été. Ensuite, en positionnant les drapeaux ainsi que des chutes de bois peintes et numérotées pour servir de repères de départ, ils donnent corps au parcours, qui reste ainsi en place jusqu'à la mi-août, lorsque la repousse de la végétation rend le jeu trop compliqué. « Quand il y a une deuxième coupe fin août ou début septembre, on peut créer un deuxième parcours », note Jean-Pierre Aubert.

Les joueurs à l'initiative de cette pratique, tous golfeurs par ailleurs sur des terrains plus standards, ont édité une charte du freegolf, dont les principes peuvent se résumer ainsi : respect du terrain, règles simplifiées avec la possibilité de placer partout, voire d'utiliser un tee après le départ, pas de hors limites (on droppe la balle où elle est entrée, façon zone à pénalité)... et surtout convivialité. Cette dernière notion est particulièrement convoquée lors des quelques compétitions de freegolf que l'association organise durant l'été. Après les neuf trous et la séance de putting, le partage d'un repas au pied du Vercors est une étape obligatoire.
Ainsi, pendant un mois et demi, il est possible de s'essayer gratuitement au golf, sur les hauteurs de Gresse-en-Vercors, devant l'un des plus beaux panoramas du Dauphiné. « On demande juste une petite participation libre aux joueurs », note Jean-Pierre Aubert. Joueur de golf depuis 1988 au Golf Bluegreen Grenoble-Bresson, et par ailleurs engagé dans l'association sportive de Schneider Electric, à Grenoble, l'animateur n'a eu aucun mal à récupérer du matériel çà et là, pour constituer un stock de clubs prêts à servir pour les vacanciers de passage. « J’ai vu arriver une fois quelqu’un qui habitait à trois kilomètres du golf de Castres, et qui n’avait jamais osé y rentrer, narre-t-il. Il a essayé gratuitement chez nous, et ça lui a plu, et du coup, quand il est rentré à Castres, il s’est dit qu’il allait aller les voir. »

Du golf, même sur la neige
Pour tous ceux qui arrivent à Gresse-en-Vercors avec le virus du golf déjà inoculé, ou bien qui le contractent sur place, la petite station montagnarde dispose aussi d'un practice, et d'un petit parcours plus classique de six trous. Contrairement aux prairies du freegolf, ce tracé possède des greens, et ne change pas systématiquement de place, étant sur des terrains appartenant à la commune. Mais l'ambition reste la même : faire découvrir le golf à un maximum de gens. « C’est l’activité la moins chère de Gresse-en-Vercors, s'exclame Jean-Pierre Aubert. Ça surprend d'ailleurs les gens, quand on leur parle du golf et qu'on leur dit que c'est l'activité la moins chère. »
Le freegolf, lui, fait quelques autres apparitions éphémères durant l'année. Autour de la Saint-Georges, le 24 avril, il n'est pas rare de voir les membres de l'association et leurs camarades de jeu des golfs de la région jouer une compétition profitant de la fonte des neiges, et d'une végétation qui n'a pas encore poussé. Et puis surtout, le freegolf se pratique également sur neige, en prenant bien soin, évidemment, d'opter pour les balles rouges et orange. « Ce n'est pas toujours possible de jouer sur la neige, si elle est trop épaisse ou trop collante, précise Jean-Pierre Aubert. Mais si elle est bien compacte, si les engins de la commune l'ont damée, on peut jouer. »

Que ce soit en hiver, au printemps ou en été, l'animateur de l'association, qui compte une douzaine de membres permanents, en est persuadé : le freegolf renoue avec un certain esprit originel du jeu de golf. « Aux sources du golf, les gens qui jouaient étaient des bergers qui tapaient dans des pommes de pin avec des bâtons », avance-t-il. À la différence près, sans doute, que les moutons du Vercors n'ont pas pris la mauvaise habitude de creuser des bunkers.