Vingt ans après sa disparition, retour sur la remarquable carrière de Simone Thion de la Chaume, la première grande championne de dimension internationale qu'a connu le golf tricolore.

Simone Thion de la Chaume en 1926 à Saint-Germain. © Bibliothèque Nationale de France

L'essor du golf féminin en France

Importé par les Anglais à la fin du XIXe siècle, le golf se développe rapidement en France avant la Première Guerre mondiale, des parcours ouvrant un peu partout dans des stations balnéaires huppés du littoral et en région parisienne. Pratiqué essentiellement par une frange aisée de la population, il n'est cependant pas réservé aux hommes : les femmes y jouent également, comme le souligne la revue Femina en 1903 : « Plus mouvementé que l'antique croquet, moins agité que le moderne tennis, le golf est un sport féminin par excellence, car il procure un exercice mesuré et suscite toutes les émotions d'une victoire difficile à atteindre, sans exiger toutefois ni effort violent, ni mouvement brusque. »

Suite à la naissance des premières épreuves masculines dans l'Hexagone, le golf féminin se met à son tour à la compétition. En 1908, Pierre Lafitte, l'éditeur du magazine en question, crée le premier championnat national pour les golfeuses françaises, doté de la Coupe Femina. Âgée de 16 ans, Pauline Roissard de Bellet remporte à La Boulie le premier de ses huit titres de championne de France. La voie est ouverte, et après les quatre années de hiatus de la Première Guerre mondiale le golf féminin reprend ses droits dès 1920. Deux ans après, la relève prend le pouvoir : Janine Gaveau, 18 ans, s'impose, tandis qu'une jeune fille de 13 ans, Simone Thion de la Chaume, prend la troisième place.

Simone en 1920. © Bibliothèque Nationale de France

« Une maîtrise précoce et un style ravissant »

Née le 24 novembre 1908 dans le 17e arrondissement de Paris, Simone est la fille de René Thion de la Chaume, inspecteur des finances, et de Marie Mahot de la Quérantonnais. Le sport n'est pas étranger à la famille, puisque son père participa au concours d'escrime des Jeux olympiques de 1900 à Paris et que son frère aîné Robert, né en 1906, deviendra lui aussi un golfeur de très bon niveau. Profitant de séjours en Cornouailles anglaise, la famille découvre le golf sur le links de Bude, et poursuit son apprentissage après la guerre à Saint-Cloud, et du côté de Saint-Jean-de-Luz lors de ses villégiatures dans le Pays basque, notamment au golf de Sainte-Barbe où Simone prend des leçons avec le professionnel anglais Sam Freemantle, et à La Nivelle.

En 1922, elle se classe donc troisième de la Coupe Femina à sa première participation. Malgré son jeune âge, un futur brillant lui est déjà promis : « Beaucoup de vieux joueurs lui pourraient envier et sa maîtrise précoce et surtout un style ravissant qui la destine aux plus hautes distinctions. Mlle Thion de la Chaume appartient à une famille de golfers : ce n'est point nous aventurer beaucoup que de lui promettre un glorieux avenir », peut-on lire dans l'édition du 31 mai du quotidien Le Gaulois. Simone se classe seconde l'année suivante, qui marque la séparation entre la Coupe de France, désormais dotée du trophée Femina, et le championnat de France, doté du tout nouveau trophée Pierre Deschamps.

Simone en 1924. © Bibliothèque Nationale de France

En 1924, Simone, âgée de 15 ans, commence à garnir sérieusement son palmarès : au mois de mai, un pro-am organisé à Saint-Germain-en-Laye dans lequel elle représente le golf de la Nivelle associée au professionnel Arnaud Massy, la Coupe Femina quelques jours plus tard à Saint-Cloud, puis le championnat junior du même club, et enfin la coupe de la ville de Saint-Jean-de-Luz au cours de l'été.

En septembre, elle est la première Française à participer au championnat junior de Grande-Bretagne disputé à Stoke Poges, dans la banlieue de Londres. Victorieuse de l'épreuve de qualification en stroke play, elle se défait ensuite de toutes ses adversaires dans le tableau de match play, avant de s'imposer en finale face à Dorothy Pearson par 4&2. « L'extrême simplicité de Mlle Thion de la Chaume, l'aménité de ses manières, la perfection de son style, son attitude si vraiment sportive, lui ont conquis de l'autre côté de la Manche des sympathies rarement rencontrées en terres étrangères », s'enthousiasme Le Gaulois dans son édition du 24 septembre. Saluée par les plus grandes plumes golfiques anglaises, la jeune Simone y gagne également un surnom plutôt flatteur, celui de « Suzanne des links » en référence à Suzanne Lenglen, l'immense championne de tennis qui collectionnait à la même époque les succès à Wimbledon et Roland-Garros !

Elle réunit trois qualités indispensables : le calme, la puissance et l'adresse. Trois qualités que beaucoup peuvent posséder dans une mesure différente, mais qu'elle a su acquérir si jeune, de façon étourdissante, et pour chacune d'elles, au même degré : perfection. […] Je ne connais qu'un sportif qui puisse lui être comparé sous ce rapport : René Lacoste.

Aubrey Boomer

En 1926, le Grand Chelem français

Cette victoire, la première d'une joueuse étrangère dans un grand championnat britannique, marque le début de ses plus belles années dans les compétitions de golf. En 1925, elle remporte la coupe de France et le championnat de France, et s'incline en finale des internationaux de France face à Glenna Collett, la meilleure joueuse américaine venue en Europe participer au British et au French Ladies. L'année suivante, elle réalise le Grand Chelem français, s'imposant brillamment dans ces trois mêmes épreuves, dominant en finale des Internationaux de France à Saint-Germain l'Anglaise Cecil Leitch, quatre fois lauréate du British Ladies Amateur !

« Pourquoi Simone Thion de la Chaume est-elle une grande championne de golf ? » s'interroge le professionnel britannique Aubrey Boomer dans un article publié dans la revue Match le 16 novembre 1926. « Parce qu'elle réunit trois qualités indispensables : le calme, la puissance et l'adresse. Trois qualités que beaucoup peuvent posséder dans une mesure différente, mais qu'elle a su acquérir si jeune, de façon étourdissante, et pour chacune d'elles, au même degré : perfection. […] Je ne connais qu'un sportif qui puisse lui être comparé sous ce rapport : René Lacoste », ajoute-t-il de façon prémonitoire... Elle conclut l'année 1926 en remportant à l'automne le Worspledon Trophy, prestigieuse épreuve britannique en double mixte, associée à Roger Wethered.

Le sacre au British Ladies Amateur

En 1927, elle remporte son troisième championnat de France à Saint-Cloud en prélude au British Ladies Amateur, qui se joue au Royal County Down en Irlande mi-mai. Accompagnée par sa compatriote Manette Le Blan - qui atteint de son côté les demi-finales - elle retrouve en finale Dorothy Pearson, sa rivale du British Girls trois ans plus tôt. L'issue est la même : Simone s'impose par 5&4 et devient, à dix-huit ans, la première non-Britannique à remporter ce championnat créé en 1893 ! Le trophée restera d'ailleurs en France l'année suivante grâce à Manette Le Blan, pour un premier doublé tricolore égalé quatre décennies plus tard par Brigitte Varangot en 1968 et... Catherine Lacoste en 1969.

L'exploit de la « Wonder Girl », agrémenté d'un nouveau succès dans les Internationaux de France (15&14 en finale !) ne passe pas inaperçu outre-Atlantique, où Simone figure parmi les inscrites à l'U.S. Women's Amateur, dont la 31e édition est prévue fin septembre au Cherry Valley Club, dans l'État de New York. Accompagnée de ses parents, elle débarque sur l'île de Long Island avec l'étiquette de favorite, comme le rapporte Le Matin dans son édition du 19 septembre : « Pas mal de connaisseurs américains prédisent que la jeune joueuse française ravira le championnat à Miss Glenna Collett qui le détient ». Las, après avoir franchi avec succès l'écueil de la qualification en stroke play, elle s'incline en quart de finale face à Alexa Stirling Fraser, 3&2. Il faudra attendre quarante-deux ans pour qu'une Française remporte l'épreuve : sa propre fille Catherine, sacrée en 1969 au Texas !

Extrait du « Miroir des Sports » du 24 mai 1927.

Simone devient Mme René Lacoste

Dans le paquebot du retour en France, Simone fait la connaissance du tennisman René Lacoste, 23 ans et tout frais vainqueur de deux grandes compétitions aujourd'hui connues sous les noms de Coupe Davis et U.S. Open. Les deux jeunes gens sympathisent et commencent à se fréquenter, continuant l'un et l'autre à mener leurs carrières respectives en parallèle. Simone remporte ses quatrième, cinquième et sixième titres consécutifs de championne de France entre 1928 et 1930, René s'impose à Wimbledon en 1928 et à Roland-Garros l'année suivante. Fin septembre 1929, la presse se fait écho de leurs fiançailles ; le mariage est célébré le 30 juin 1930 à Paris. De cette union naîtront quatre enfants : Bernard en 1931, François en 1933, Michel en 1943 et Catherine en 1945.

Après avoir donné naissance à ses deux aînés, Simone retrouve la compétition avec le même succès : elle remporte deux fois la Femina, trois fois le championnat de France, trois fois les Internationaux de France et plusieurs autres épreuves prestigieuses. Après la Seconde Guerre mondiale, elle continue à s'impliquer dans le développement du golf en France à différents niveaux, notamment au golf de Chantaco créé par son père à Saint-Jean-de-Luz en 1928, dont elle assure la présidence pendant de nombreuses années et fut le berceau d'un grand nombre de champions et d'enseignants. Le Trophée Simone Thion de la Chaume, premier open international féminin senior, fut créé en 1999 par sa fille : elle en remit le trophée lors des trois premières éditions, avant sa disparition le 4 septembre 2001, à l'âge de 92 ans.

Extrait du « Miroir des Sports » du 24 juillet 1927.