Le Nîmois a écrit l’une des plus grandes pages de l’histoire du golf tricolore en remportant en 2004 puis en 2005 le plus vieux tournoi d’Europe continentale. Deux succès inoubliables et diamétralement opposés.

Deux postures différentes pour un même dénouement... © Alexis Orloff / ffgolf

Lorsqu’il s’élance le 24 juin dans cet Open de France 2004 au Golf National, Jean-François Remésy est dans une « bonne dynamique ». Il reste ainsi sur une excellente troisième place au Celtic Manor Wales Open le 6 juin précédent, dans son dernier tournoi disputé sur le Tour européen avant l’échéance française. Depuis plusieurs mois, il enchaîne même les très bonnes performances, comme ces deux tops 5 printaniers en Espagne et au Portugal (4e à l’Open de Séville le 18 avril et 5e à l’Algarve Open le 4 avril).

« Je jouais très bien », se souvient tout de suite le Nîmois. « Tout était dans le bon sens pour que je réalise quelque chose de fort ici au Golf National. Une victoire à l’Open de France est toujours exceptionnelle pour un golfeur français, mais dans le même temps, c’était pour moi une suite logique. Je m’en sentais capable. Je me souviens aussi du parcours, très difficile à négocier. Le semi-rough à cette époque était terrible. Si tu sortais de la piste, t’étais mort. Un véritable monstre. Le cut avait d’ailleurs été fixé à +7 le vendredi soir. Heureusement, à ce moment-là, je drivais remarquablement bien. C’était l’une des clés du succès. »

« Je ne répondais à personne, même pas à mes amis. »

Après un premier tour solide (4e à -2 au leaderboard), Remésy s’empare de la tête du tournoi à mi-parcours (-6) en compagnie du Gallois Ian Woosnam, après avoir signé une deuxième carte de 67 (-4). « J’ai toujours aimé le parcours du National », ajoute-t-il. « Jouer en France a toujours été pour moi un booster incroyable. Je suis français. Et c’est toujours pour moi une motivation supplémentaire de prendre le départ d’un tel événement. »

Après 54 trous et un énorme 65 (-6) le samedi, il est seul leader à -12 (201), avec trois coups d’avance sur son premier poursuivant, l’Australien Richard Green. Comment va-t-il gérer la pression qui a terrassé plus d’une fois un Français dans son open national ? Un peu plus encore quand on est en position de gagner… « Je l’ai bien gérée », souffle-t-il calmement. « J’étais à chaque fois, soit hyper motivé, soit en confiance. Je me suis enlevé toutes les choses qui pouvaient me perturber. J’éteignais le téléphone en début de semaine et je le rallumais le dimanche soir. Je ne répondais à personne. Même à mes amis proches. Je me mettais à l’abri. Plus on avance dans le tournoi, plus on sent l’effet booster du public. Mais c’est très difficile de dire ce que je ressentais à l’époque car je suis aujourd’hui une autre personne. Je me sens totalement différent de 2004. Ce que je peux dire, c’est que j’essayais toujours d’être dans l’instant présent. Je ne faisais aucune projection. Je me servais uniquement de l’énergie positive des gens qui voulaient que je gagne ce tournoi. Je suis en France, le public est avec moi. »

 

35 ans après Jean Garaïalde

En dernière partie le dimanche, il ne se soucie pas de son principal adversaire avec lequel il partage ses dix-huit trous. « Green ? Je ne me suis pas occupé de lui. Jack Nicklaus disait : "En golf, vous avez deux adversaires : vous-même et le parcours." Il faut gérer tout cela, déjà. Beaucoup de champions sont capables de gagner des tournois, peu sont capables d’aller au bout. »

Malgré un départ chaotique (double au 1, birdie au 2, bogey au 3, ndlr), le Français se ressaisit ensuite avant de signer un ultime 71 (par). Richard Green, lui, craque sur le retour en jouant 40 (+5), avec notamment un terrible finish (bogey au 17, double au 18). Remésy l’emporte à -12 (272). Il laisse les Australiens Green et Nick O’Hern à sept longueurs derrière. Graeme McDowell, déjà, finit 4e, devant Woosnam (6e), Jimenez (8e) et Casey (10e). Olazábal et Poulter sont à 14 coups du Français… Justin Rose, alors jeune débutant, termine à la 72e place, à +15 (299).

C’est la première fois depuis 1969 qu’un golfeur tricolore s’offre l’Open de France. Depuis Jean Garaïalde plus précisément, sur le tracé de St-Nom-la-Bretèche... « C’est d’ailleurs lui qui me remet la coupe », s’en amuse Remésy. « La remise des prix a été un moment très fort. Je savais que j’étais en train d’écrire une page importante de mon histoire mais également une page du golf français. On attendait ça depuis si longtemps. »

Jean Garaïalde et Jean-François Remésy lors de la remise des prix de l'Open de France 2004. © Pierre Andrieu / AFP

Toujours la chambre 326 au Novotel

Un an plus tard, quasiment jour pour jour, la donne a quelque peu changé pour le tenant du titre. Contrairement à 2004, le début de saison 2005 est délicat. En neuf départs, Jean-François Remésy a ainsi manqué quatre cuts et sa meilleure performance est une 21e place en Andalousie le 17 avril. Bref, pas de quoi débarquer à Saint-Quentin-en-Yvelines avec les faveurs des pronostics…

« Je ne suis pas très bien », avoue-t-il. « Le début de saison a été très moyen. Mais j’ai commencé à me remettre au boulot. À l’époque, il y avait chez moi beaucoup d’orgueil. Je voulais réaliser le doublé. Je commence tout juste d’ailleurs à évoquer ce scénario… À l’époque, si je l’avais dit, on m’aurait pris pour un gros mytho… Est-ce que je voulais aussi marquer de mon empreinte le golf français ? Que ce n’était pas un hasard si j’avais gagné en 2004 ? Beaucoup de choses tournaient alors chez moi autour de l’ego. Aujourd’hui, je ne fonctionne plus comme ça ! Mais l’ego m’a certainement boosté. Même si, selon moi, il véhicule plus de négatif que de positif… En 2004, j’étais dans l’expression, de m’éclater en jouant au golf. En 2005, j’étais beaucoup plus dans la détermination, dans la volonté, dans l’ego… Il fallait que je prouve beaucoup de choses. Pour la petite anecdote, je me souviens avoir gardé la même chambre au Novotel qu’en 2004. La 326, je crois… »

Rivalité entre deux forts caractères

L’entame, ce 23 juin 2005, est plutôt encourageante. 68 (-3). Il pointe à la quatorzième place, à quatre coups de Jean Van de Velde, seul leader à -7. Après 36 trous, il entre dans le top 10 (7e à -8, avec une carte de 69 (-2)). Au soir du Moving Day, il est co-leader à -9 (204) en compagnie de l’Argentin Eduardo Romero et de… Van de Velde. La météo, menaçante au-dessus du Golf National, oblige cependant les organisateurs à former des parties de trois. Les trois leaders du samedi vont donc partir ensemble dimanche. Le duel entre Remésy, le tenant, et Van de Velde, le chouchou du public, héros maudit de Carnoustie six ans auparavant, s’annonce épique.

« Jean et moi, on peut être chien et chat », rappelle Remésy. « On peut être très bons potes comme on peut être ennemis jurés. Cela a toujours été comme ça entre nous, depuis les équipes de France. Il y a de la rivalité, entre deux très forts caractères. En 2005, je n’ai plus rien à prouver. Mais je veux marquer ce tournoi de mon empreinte. Je ne m’occupe que de ça. On ne discute pas sur le parcours avec Jean. On a envie de gagner. Forcément. Le public est partagé. Une partie veut que je réussisse, l’autre que je m’effondre. »

Deux balles dans l'eau

Au départ du 72e trou, Van de Velde possède un coup d’avance sur Remésy. Mais le Landais concède un bogey sur le 18. Les deux hommes finissent en 273, à -11 total. Play-off ! Retour sur le 18. Après deux mises en jeu solides plein fairway, Van de Velde puis Remésy partent à la faute. Deux balles dans l’eau ! Le premier derrière le green, le second devant ce même green. La tension est à son paroxysme.

« Quand il envoie son deuxième coup dans l’eau, je ne sais pas que ce qu’il fait », se remémore Remésy. « Si j’avais su que sa balle était dans l’eau, j’aurais margé beaucoup plus. Là, j’ai joué le drapeau (positionné dans le coin) car je pense qu’il était derrière le bunker et qu’il pouvait faire chip-putt et jouer dans le par. Si je joue trop sécurité, je peux faire 5 et je perds le tournoi. Et je fais une gratte. Pour jouer 4 dans la dropping zone, mon caddie (Michael Body) me dit : "Il y a 120 yards." Assez précipitamment, je prends le wedge et là, mon caddie se met entre moi et la balle. "We need to talk", me lâche-t-il. J’en ai la chair de poule en vous racontant ça ! Il me dit : "Écoute, Jeff, au 6, sur le deuxième coup, tu avais 120 yards avec une brise contre. Tu as pris ton fer 9 en trois quart de swing et tu t’es mis à hauteur du drapeau. C’est un coup que tu maîtrises parfaitement." Là, je change de club. Et je place ma balle à deux mètres cinquante du trou. Ce coup a tué le play-off. Je suis toujours dans la course car je peux faire 5. »

« Two putts to win, my friend! »

Et Jean Van de Velde alors ? Où est-il ? Que fait-il ? « L’attente sur le green dure deux heures pour moi », assène le Nîmois. « Jean est en train de perdre pied. Il ne s’autorise pas à gagner… Les forces négatives se mettent en place, et il s’autodétruit. Comme à Carnoustie. Je me suis dit qu’il allait me donner le tournoi. Et c’est ce qui s’est passé. Je le sentais. Il y avait une force qui me disait que je ne pouvais pas perdre. Je vois Jean prendre John Paramor (l’arbitre du Tour) par l’épaule, aller derrière, dropper… Je ferme les yeux. J’entends des choses, des cris… Et mon caddie me tape alors sur l’épaule et me dit : "C’est à nous, Jeff !" Je lui demande ce qui se passe. Il me répond : "Two putts to win, my friend!" Je n’avais rien vu des malheurs de Jean (après avoir droppé, le Montois, dans un chip trop court, avait trouvé le bunker. Sa sortie, puis son putt n’avaient pas été suffisants, Ndlr). Mon coup de la dropping zone l’avait mis sous pression et il a finalement craqué… Il est 21 heures ! »

Triple bogey pour Van de Velde. Double pour Remésy. Doublé historique d’un Français dans un Open de France. Le dernier à avoir réalisé un tel exploit s’appelait Marcel Dallemagne, en 1936, 1937 et 1938.  « Je pleure sur mon sac juste après », conclut l’intéressé. « Ce fut un combat de dingue. Quand j’ai revu Michael Body quelques années après, je lui ai dit : "   Quand je te fais le chèque de 58 000 euros et des poussières, correspondant aux 10 % des gains de la victoire, ça valait le coup. C’est toi qui m’a fait gagner l’Open de France. Si tu n’es pas là à ce moment-là, peut-être que les choses ne se passent pas comme ça." Cet argent, il l’a bien mérité. »

Jean-François Remésy en larmes juste après le play-off... © Richard Heathcote / GETTY IMAGES EUROPE - AFP