L'année 2021 marquera le centenaire de la mort de Louis Tellier, l'un des golfeurs français marquants du début du XXe siècle. Moins célèbre qu'Arnaud Massy, ce Versaillais au destin tragique reste néanmoins le seul Tricolore à avoir gagné aux États-Unis, sur l'ancêtre du PGA Tour.

Louis Tellier en action lors de l'Omnium national 1913 à Chantilly. © Bibliothèque Nationale de France

Cadet à Versailles

Louis Émile Auguste Tellier, de son nom complet, naît à Versailles le 2 novembre 1886 d'un père relieur et d'une mère couturière. De son enfance, on ne sait presque rien, si ce n'est qu'il découvrit le golf à La Boulie, site du golf de Paris créé en 1901, en tant que cadet. C'est là qu'il rencontre Wilfrid Reid, un Anglais de deux ans son aîné qui occupe alors le poste de head pro du club, et probablement aussi la sœur de celui-ci, une dénommée Ella, qui deviendra sa femme. En 1906, alors âgé de seulement 19 ans, il participe au premier Omnium de France organisé sur son terrain : à cette occasion, Le Figaro rapporte dans son édition du 2 juillet que « Louis Tellier, Français et second professionnel de La Boulie, [a] fort bien joué. » Au contact des meilleurs professionnels de l'époque, le jeune homme améliore son jeu et commence à se faire remarquer dans les tournois internationaux auxquels il prend part. En 1911, il dispute au Royal St George's son premier open britannique, dont il manque le cut ; en 1912 il termine troisième de l'Omnium national avec 291 coups, « un score qui d'ordinaire serait suffisant pour remporter n'importe quel championnat », comme le relève John G. Anderson dans un article publié en septembre 1913 dans la revue américaine Golf. En juillet 1913, il prend part à la déroute infligée aux Américains à La Boulie (6-0) lors d'une rencontre opposant quatre pros d'outre-Atlantique à une équipe française constituée d'Arnaud Massy, Jean Gassiat, Eugène Laffitte et lui-même.

Un « Frenchie » en Amérique

Cette même année, motivé par son beau-frère Wilfrid Reid qui accompagne les professionnels britanniques Harry Vardon et Ted Ray, Tellier décide de s'engager au championnat des États-Unis, qui se tient du 18 au 19 septembre au Country Club à Brookline, dans le Massachusetts. Cette participation, la première d'un Français à l'U.S. Open, devait s'accompagner de celle de Massy. Dans l'article déjà cité et intitulé « Arnaud Massy and Louis Tellier : French Aspirants for American Title », Anderson les présente même comme des favoris : « La récente victoire des Français sur nos représentants, au cours de laquelle les États-Unis ont échoué à remporter la moindre rencontre, semble leur conférer une supériorité. » Finalement, retenu à Deauville pour la saison d'été, Massy laisse Tellier porter seul les couleurs françaises. Ce dernier débarque aux États-Unis trois semaines avant l'épreuve, et dispute en guise de préparation une série de rencontres-exhibitions contre des pros de la région de Boston. Il les perd toutes !

Louis Tellier et Walter Hagen lors de l'U.S. Open de 1913. © Bain Collection / Library of Congress

À deux doigts de l'exploit

Néanmoins, le « petit Français » comme le décrit la presse américaine – Tellier mesure en effet 1,60 m, ce qui ne l'empêche pas d'exceller driver en mains – est fin prêt lorsque débute le 19e open américain. Le premier jour, il rend deux cartes de 76 qui l'installent en onzième position, cinq coups derrière Reid et Vardon. Le lendemain matin, un 79 lui permit certes de grappiller deux places, mais Tellier compte désormais six coups de retard sur les trois leaders : le grand Vardon, l'autre champion jersiais Ted Ray et le jeune amateur américain de 20 ans, Francis Ouimet. Dans son excellent ouvrage La Plus Grande Partie de tous les temps publié en 2002, Mark Frost relate le dernier tour de Tellier en ces termes : « Le petit Français se jeta dans la tourmente et faillit bien réussir un miracle. Deux birdies d'affilée sur les deux premiers trous ; puis un chapelet de pars qui se conclut par un birdie des plus inattendus, sur l'imposant huit. […] Tellier venait de réussir l'aller en 35, trois coups au-dessous du par, et à ce stade il était en tête avec trois coups d'avance ! Pour sortir du bois et rapporter le trophée à Paris, il lui suffisait désormais de faire 37 sur le retour plus facile, soit un au-dessus du par. La chance toquait à la porte, celle-ci s'ouvrit et Louis s'y était à-demi faufilé quand il glissa sur le départ détrempé du douze. […] Son drive finit dans les bosquets. Il manqua le recovery. Six coups, bogey. Il renoua avec le par au 13, mais un nouveau bogey au quatorze le repoussa dans la tempête en lui claquant la porte au nez. À un coup seulement des meilleurs au départ du dix-sept, Tellier ne put offrir mieux que deux bogeys décevants. […] Tellier finissait son tournoi à 307, avec trois coups de retard. » Dans cette mémorable édition, la victoire revient pour la première fois à un amateur, Ouimet, qui le lendemain se défit en play-off de Vardon et Ray.

Un petit homme plein de finesse et d'élégance, qui parlait un anglais à la française qui ajoutait encore à son charme.

Mark Frost, « La Plus Grande Partie de tous les temps » (2002)

Faites du golf, pas la guerre !

De retour au pays, où sa performance n'est guère saluée par la presse, Tellier livre une prestation médiocre à l'open de France, organisé pour la première fois à Chantilly les 13 et 14 octobre. Vingt-septième de l'épreuve pour ce qui restera comme sa dernière participation à son open national, il a sans doute la tête ailleurs : aux États-Unis, et plus précisément au Canoe Brook Country Club dans le New Jersey, qui officialise son arrivée à compter du 1er mars 1914, peu de temps avant que la Grande Guerre n'éclate en Europe. Il échappe ainsi au conflit, ne pouvant répondre à son ordre de mobilisation début 1915, ce qui lui vaut d'être déclaré « insoumis »... Ce n'est qu'à l'été 1917, deux mois après l'entrée en guerre des États-Unis, que Tellier, qui a participé comme de nombreux pros américains à des exhibitions destinées à lever des fonds pour la Croix Rouge, est rayé de cette liste !

Tellier à La Boulie lors de l'Omnium 1909. © Bibliothèque Nationale de France

L'un des meilleurs pros d'outre-Atlantique

Décrit par Mark Frost comme un « petit homme plein de finesse et d'élégance, [qui] parlait un anglais à la française qui ajoutait encore à son charme », Tellier a tôt fait d'asseoir sa réputation de joueur et d'enseignant au pays de l'oncle Sam. Côté leçons, il est engagé début 1916 au Country Club de Brookline, théâtre de son premier U.S. Open, puis migre en 1919 au très huppé Brae Burn Country Club, dans le Massachusetts. Côté compétition, il brille à nouveau à l'U.S. Open en 1914, année où il finit huitième, et en 1915 où il se classe une fois de plus quatrième, après avoir une fois de plus occupé la tête lors du dernier tour. Treizième en 1916, il doit patienter trois ans pour retrouver l'open américain, le tournoi n'étant pas disputé en 1917 et 1918 en raison de la guerre. En 1919, sur le parcours de Brae Burn dont il est depuis peu le professionnel attitré, il réalise sa dernière performance d'envergure à l'U.S. Open. Cité parmi les favoris en raison de sa connaissance du parcours, il pointe au troisième rang le premier jour après les deux premiers parcours, à trois coups de la tête, mais concède un lourd 82 le mercredi matin qui l'éloigne du trophée. Il termine finalement cinquième après un beau baroud d'honneur (75) dans l'après-midi.

Membre fondateur de la PGA of America

Très impliqué dans le développement du golf aux États-Unis, respecté au même titre que les meilleurs golfeurs du pays, Louis Tellier est l'un des 35 pros signataires de l'acte de naissance de la PGA américaine, l'association regroupant les professionnels créée le 10 avril 1916 à New York. Celle-ci organise son premier championnat six mois plus tard, en octobre, mais il s'incline dès le premier tour de ce tournoi joué en match-play, 4&2 face à l'Anglais Cyril Walker. S'il subit la même sanction lors de la deuxième édition trois ans plus tard, 7&6 face à l'Américain Mike Brady, il atteint les quarts de finale en 1920, s'inclinant 6&5 face au futur vainqueur Jock Hutchinson.

Le 12 juillet de cette même année, un mois avant le PGA Championship, Tellier décroche sa première grande victoire sur le sol américain à l'occasion du championnat professionnel de la Nouvelle-Angleterre. Dans cette épreuve organisée au Wannamoisett Country Club sur 36 trous dans la même journée, le professionnel de Brae Burn rend des cartes de 73 le matin et 72 l'après-midi, pour un total de 145 lui assurant deux coups d'avance sur son dauphin, George L. Bowden. Qualificatif pour le championnat de la PGA américaine, ce New England Pro Championship marque surtout la deuxième victoire française reconnue a posteriori par le PGA Tour, après celle d'Arnaud Massy au British Open de 1907. Mais la seule sur le sol américain ! L'année suivante, il gagne à nouveau, à l'occasion du Massachusetts Open disputé sur le parcours de l'Essex County Club, près de Boston. À égalité avec John Cowan après 72 trous, Tellier s'impose le lendemain, le 29 septembre, en play-off, d'un seul coup ! Ce succès, contrairement au précédent, n'est toutefois pas reconnu par le PGA Tour contemporain.

Extrait du « Boston Globe » du 4 novembre 2021.

Une fin tragique et toujours inexpliquée

Quelques semaines plus tard, le 17 octobre, Tellier participe à la finale du championnat de l'association des pros de la Nouvelle-Angleterre (NEGPO Championship), sur le parcours du Myopia Hunt Club à Hamilton, toujours dans le Massachusetts. En tête après trois tours, il signe un cauchemardesque 85 lors de la dernière ronde et échoue à la deuxième place... Un dénouement cruel, qui n'est sans doute pas étranger à sa disparation, le 3 novembre de la même année. Au lendemain de son 35e anniversaire, il est retrouvé pendu à la poutre d'un abri situé sur le parcours de Brae Burn. Une dépression chronique liée à ses échecs répétés lors des grands championnats est avancée par certains comme l'explication de son geste, mais Steve Eubanks, dans sa biographie du golfeur anglais J. Douglas Edgar parue en 2010 et intitulée To Win and Die in Dixie, évoque une autre possibilité : « Il semblerait qu'il ne se soit jamais remis de la mort de Douglas Edgar (NdA : Décédé dans des circonstances non élucidées le 8 août 1921, d'une blessure à l'aine potentiellement provoquée par une arme blanche). Ils étaient très amis. Mme Tellier raconte d'étranges histoires sur la façon dont son mari imaginait que Doug était toujours à ses côtés, et qu'il continuait à lui parler d'une façon des plus animées », écrit-il en citant la revue Canadian Golfer. Il y a près d'un siècle maintenant, Tellier s'en est allé, sans explications, laissant simplement son nom dans les pages de l'histoire du golf de part et d'autre de l'Atlantique.

Tellier lors de l'U.S. Open de 1913 à Brookline. © Bain Collection / Library of Congress

Palmarès

1913 : Match France-USA (par équipes)
1920 : New England Pro Championship
1921 : Massachusetts Open