Le 7 mars 1983, Anne-Marie Palli remportait le Samaritan Turquoise Classic et ouvrait la voie aux succès des joueuses professionnelles européennes sur le LPGA Tour. Quarante ans après, cette véritable pionnière du golf français se souvient.

Anne-Marie Palli lors de la remise des prix. © Philippe Palli

« C'est un choc de penser que ça fait déjà quarante ans ! » rigole Anne-Marie Palli en décrochant son téléphone. Quatre décennies après avoir remporté le Samaritan Turquoise Classic, la doyenne des proettes de l'Hexagone ne s'est pas faite prier pour partager ses souvenirs. La date de sa victoire, celle du 7 mars 1983, mérite qu'on y revienne puisqu'elle est historique à plus d'un titre : non seulement Anne-Marie a remporté son premier succès personnel sur le LPGA Tour, mais a aussi signé la première victoire d'une joueuse professionnelle européenne sur le circuit américain. « Quand je suis partie aux États-Unis, je ne pensais pas à tout cela. D'ailleurs, c'est mon frère Philippe, qui est passionné d'histoire, qui m'a appris que j'étais la première Européenne à gagner un tournoi du LPGA Tour », indique-t-elle.

Si Catherine Lacoste avait bien soulevé le trophée de l'U.S. Women's Open lors de l'édition de 1967, c'était en tant que joueuse amateur, la Crocodile Kid ayant conservé ce statut tout au long de sa carrière. Anne-Marie, elle, était partie tenter sa chance en tant que professionnelle de l'autre côté de l'Atlantique, après une brillante carrière chez les amateurs comprenant notamment un British Girls, quatre titres individuels de championne de France et cinq championnats d'Europe avec les équipes de France Girls et Dames. « Il n'y avait pas de circuit pro en Europe, donc c'était soit les États-Unis, soit le Japon. Et je me voyais mieux aller aux USA, non seulement car les meilleures joueuses y étaient, mais aussi parce que j'ai toujours été fascinée par ce pays. C'est probablement à cause de mon père qui nous a fait regarder tous ces westerns avec John Wayne ! » avance-t-elle dans un nouvel éclat de rire.

« Un gagnant ne lâche jamais, un lâcheur ne gagne jamais »

C'est d'ailleurs un peu à la manière du Duke qu'Anne-Marie s'est fait une place dans le milieu du golf professionnel féminin américain : avec autorité, rapidement, et sans se laisser abattre par les revers de fortune. En 1978, pour sa première saison pro, elle remporte deux épreuves du Women's Pro Golf Tour, la deuxième division. L'année suivante, elle décroche sa carte pour le grand circuit, puis la conserve à l'issue de la saison 1980, mais la perd fin 1981. De retour à l'échelon inférieur en 1982, elle flingue à tout-va pour récupérer son bien : « J'ai gagné neuf tournois sur le WPGT cette saison-là, puis je me suis requalifiée pour le LPGA Tour en gagnant l'épreuve des cartes », explique-t-elle. « J'ai toujours eu la motivation de continuer à m'améliorer, d'autant plus après avoir perdu ma carte, et j'ai toujours cherché à trouver une solution quand ça n'allait pas. J'ai une croyance que cette phrase résume bien : "a winner never quits, a quitter never wins"... »

Extrait du quotidien « Honolulu Advertiser » du 8 mars 1983. © Philippe Palli

De retour parmi l'élite en ce début d'année 83, Anne-Marie ne cesse de s'améliorer à chaque sortie : à un cut franchi lors du tournoi d'ouverture à Palm Beach succèdent une 16e place à Miami, puis une 6e place à Tucson, son meilleur résultat en carrière à ce niveau. « J'avais bien travaillé, j'étais mieux techniquement, et en pleine confiance. On ne peut pas prédire quand on va gagner, mais quand on se sent bien dans son jeu, on commence à croire que ça peut arriver », ajoute-t-elle. Quatrième tournoi du calendrier 1983, le Turquoise Samaritan Classic se déroule comme dans un rêve, malgré la pluie qui perturbe son bon déroulement et contraint les joueuses à jouer leur troisième et dernier tour, sur les quatre prévus, le lundi. « J'ai gagné avec sept coups d'avance », résume sobrement Anne-Marie, qui enregistre cette semaine-là des cartes de 68, 69 et 68 (-14 total sur ce par 73) pour devancer largement l'Américaine Lynn Adams, et encore plus l'une des stars de l'époque, la Japonaise Ayako Okamoto (3e à neuf coups).

Super drive, fer 9 à 1 m du trou, putt rentré

« Ce qui est intéressant, par rapport à cette victoire, c'est que je l'avais visualisée auparavant. J'ai toujours été très intéressée par le côté mental du golf, par la gestion des émotions. Je lisais pas mal de livres, et j'en avais lu un sur la visualisation quelque temps auparavant. À la suite de cette lecture, je m'imaginais dans ma tête, avant de m'endormir, gagner mon premier tournoi sur le LPGA Tour. Je me visualisais en train de jouer le 18, et je me voyais taper un super drive, puis mettre un fer 9 à 1 m du trou, et enfin rentrer le putt. Et quand j'ai gagné à Phoenix, le dernier jour j'ai fait un super drive, j'ai mis un fer 9 à 1 m du trou, et j'ai rentré le putt ! Bon, ça n'a pas toujours marché aussi facilement, mais ça montre bien le pouvoir de l'esprit », ajoute la joueuse née à Ciboure le 18 avril 1955.

De cette victoire, qui offrit à Anne-Marie un chèque de 22 500 dollars nettement supérieur au total de ses gains en carrière jusque là, et sa toute première participation au Nabisco Dinah Shore (le premier Majeur de la saison, et l'équivalent féminin du Masters) le mois suivant, l'histoire retient essentiellement qu'elle fut la première d'une proette européenne sur le circuit américain, puisqu'il fallut attendre le triomphe de l'Anglaise Laura Davies à l'U.S. Women's Open de 1987 pour qu'elle soit suivie. Mais pour la principale intéressée, ce fut avant tout un accomplissement personnel : « Je ne sais pas trop si ça a eu un grand impact en France, car il n'y avait pas toutes les technologies de communication modernes, mais pour moi, ç'a été la prise de conscience que je pouvais rivaliser avec ces filles-là. En tant que jeune Française amoureuse des États-Unis, c'est même un rêve qui devenu réalité », livre-t-elle.

Le leaderboard final du Turquoise Samaritan Classic 1983. © Philippe Palli

Une famille sur plusieurs générations

Ce triomphe sur le parcours du Biltmore à Phoenix, capitale de l'État d'Arizona où elle réside depuis maintes années, donna aussi le véritable coup d'envoi d'une carrière longue d'un quart de siècle sur le LPGA Tour, auréolée d'un deuxième succès en 1992 à Atlantic City (en play-off face à Laura Davies !), conclue officiellement en 2004 mais prolongée par une participation active à la création du Legends Tour, le circuit senior, au début des années 2000. Quarante ans plus tard, Anne-Marie se souvient surtout d'une certaine insouciance de sa part dans ses efforts pour ouvrir la piste aux générations futures : « Quand j'y repense... Je suis partie toute seule, ne connaissant personne là-bas et croyant savoir parler anglais, donc avec le recul je me dis que j'y suis allée vraiment pleine de naïveté », rigole-t-elle. « Mon côté "gypsy", ma faculté à m'adapter facilement, m'a beaucoup aidée, de même que l'hospitalité des familles chez qui je logeais pendant les tournois. S'il n'y avait pas eu cet accueil, je n'aurais sans doute pas duré, émotionnellement et financièrement. Et c'est le message que j'ai toujours essayé de faire passer aux filles qui sont venues après moi. »

L'affiche du Samaritan Turquoise Classic 1984. © Philippe Palli

Dans les années 90 et 2000, Patricia Meunier-Lebouc et Karine Icher ont suivi le sillon d'Anne-Marie, tout comme Céline Boutier, Perrine Delacour, Céline Herbin, Pauline Roussin-Bouchard ou encore Agathe Laisné marchent aujourd'hui dans ses traces. « Je suis longtemps restée la seule Française sur le LPGA Tour, car personne n'était né ! » s'esclaffe Anne-Marie. « Les filles sont venues les unes après les autres, et ça a toujours été un plaisir pour moi de les aider d'une manière ou d'une autre. On s'entend toutes bien, on est un peu comme une famille sur plusieurs générations ! » Une famille de pionnières, dont l'exemple a prouvé, et continue à prouver, que le rêve américain n'est pas qu'une fiction de western.

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