Que reste-t-il aujourd’hui de cet open britannique 2002 disputé à Muirfield qui, trois ans après la terrible désillusion de Carnoustie, voyait une nouvelle fois un Français en mesure de remporter le plus ancien des Majeurs ?

Quelques secondes après ce putt génial de 17 mètres sur le 17 de Muirfield. © NICOLAS ASFOUI / AFP

« Dix-huit ans plus tard, j’ai encore ce sentiment d’avoir appartenu à l’élite du golf mondial, souligne Thomas Levet, héros malheureux de cette dramatique conclue en mort subite face à Ernie Els après un play-off à quatre. Quand on est gamin, on rêve d’avoir le putt de la victoire dans un British ou de passer à la télévision dans un Majeur. Quand on est petit et quand on regarde ça à la télévision, ces hommes sont des extraterrestres. Et d’un seul coup, vous devenez l’acteur du film. C’est très fort comme sensation. Evidemment, pour gagner sur le Tour européen, il faut être un très bon joueur. Mais ce n’est pas l’élite mondiale. Là, au British, on est avec la crème de la crème. Je ne l’oublierai jamais ! »

Cette 131e édition de l’Open britannique se déroule du 18 au 21 juillet 2002 en Ecosse, à Muirfield, à quelques encablures à l’est d’Edimbourg. Le premier semestre n’a guère été emballant pour Thomas Levet qui, en dix-sept tournois joués sur l’European Tour, n’a accroché qu’une seule fois un top 10 (8e le 10 février en Australie, au ANZ Championship). Durant les trois premiers tours de ce British, il alterne le bon et le moins bon. 72 (+1) jeudi soir, 66 (-5) le lendemain avant un très difficile 74 (+3) le samedi, dans des conditions de jeu dantesques.

Un putter froid pendant 3 tours et demi

« Une météo complètement dingue, confirme le Racingman. Le par 3 du 4, par exemple. Je l’avais joué fer 7 et fer 6 les premier, deuxième et quatrième tours et le samedi, j’ai joué bois 3 en étant 25 mètres court du green. Sur le 5, un par 5, le samedi, j’ai joué driver, fer 2, bois 3 et fer 7 et il restait encore 40 mètres pour aller au drapeau. J’avais fait double-bogey ! C’était bien payé. Mes coups de driver ne faisaient pas plus de 135 mètres. Tiger Woods avait joué 81 (+10), signant alors son plus mauvais tour en Majeur ! Je me souviens aussi que lors des trois premiers tours et le début du quatrième, mon putter était resté totalement froid. Il fallait que je sois très près des drapeaux pour rentrer mes putts. Mais pour gagner un tournoi comme ça, on s’aperçoit qu’on n’est pas obligé de jouer parfaitement pendant 72 trous. C’est celui qui limite au mieux la casse qui, finalement, s’en sort le mieux. C’est ce que j’ai fait lors du 3e tour car les conditions étaient totalement folles. »

Co-leader au départ du 18

Soixantième après 18 trous, neuvième après 36 puis dixième à l’issue d’un moving day en « enfer », le Français est à quatre longueurs du leader, Ernie Els, avant l’entame du dernier tour. Par bonheur, le soleil a remplacé le vent et la pluie. Des conditions parfaites pour attaquer. Ainsi, du top 20 au leaderboard, seul l’Américain Scott McCarron joue dans le par (71). Les autres signent allégrement des cartes dans les 60. Après neuf trous, Levet est -3 grâce à trois birdies réussis aux trous 2, 3 et 9. Et puis arrive l’épisode du trou n°17, un par 5.

« Je viens de taper un super coup de fer 2 et je suis en entrée de green, qui est tout sauf large, commente le Français. Je suis à 17 mètres du trou. Le putt est donc très loin d’être évident. Mais je connais la pente et la vitesse. J’ai du temps pour regarder le leaderboard et je me rends compte que je suis alors sixième du tournoi. Si je fais deux putts, je pourrais me retrouver quatrième. C’est plutôt sympa comme perspective. Sur le putt, je me sens dans une autre dimension. J’ai au fond de moi cette sensation que je vais le rentrer. J’ai cette impression de l’avoir fait des milliers de fois et que ça va rentrer à tous les coups. Quand c’est le cas, je bats le record de saut en hauteur. Je suis à côté de mon caddie et mes pieds sont à la hauteur de sa taille. Il n’y a que l’adrénaline qui peut vous faire réussir de telle chose. Au moment où je récupère ma balle, le leaderboard change. Els, qui était en tête, vient de faire un double-bogey. Je me retrouve subitement co-leader. Je marche vers le tee du 18, qui est bien à 120 mètres du green du 17, et je ne sens pas dans mes mains le driver que vient de me donner mon caddie, Owen Craig. D’un seul coup, je m’accroupis et je crie comme un malade dans la foule, pour extérioriser tout cela, me relâcher aussi car j’étais sur le point de démarrer le 18 sans pouvoir contrôler ce que je faisais. Je suis alors en pleine excitation avec désormais cette chance de gagner l’Open britannique ! » 

Thomas Levet congratule Ernie Els, vainqueur du British Open 2002 © AFP

« Qu’est-ce que c’est que ce truc ? »

Quatre hommes se retrouvent à égalité à -6 (278). On n’avait jamais vu ça en 130 éditions de The Open. Il y a là les Australiens Steve Elkington et Stuart Appleby, le Sud-Africain Ernie Els et Thomas Levet, qui a rendu un superbe 66 (-5) sans la moindre erreur. Play-off à quatre donc sur les trous 1, 16, 17 et 18. C’est en tout cas ce que pense le quatuor.
« On se retrouve tous ensemble au départ du 1 et là, on nous annonce deux parties de deux, souffle doucement Levet. On se regarde et on ne comprend pas. Qu’est-ce que c’est que ce truc ? Tout le monde s’attendait à jouer à quatre. Pourquoi une telle décision ? On a encore trois heures de jour devant nous, au moins… »

Levet se retrouve avec Elkington. En première partie.
« C’est à la fois un avantage et un inconvénient, reconnait l’actuel consultant pour le groupe Canal +En premier, on met la pression sur les suivants mais on ne sait pas du tout ce qu’ils font en termes de résultats. On joue complètement en aveugle. Pour moi, ce fut préjudiciable. » 

Jouer en aveugle

Par au 1 pour Levet, puis birdie au 16 avec de nouveau un putt improbable de 10-11 mètres.
« Je sais que je suis en tête, mais je ne sais pas de combien… Les mecs derrière ont pu faire 6 et 6, on n’en sait rien. Au 17, je mets un avion au drive, Elkington, qui a fait bogey au 1 et par au 16 avant d’envoyer sa balle dans le rough au 17, est virtuellement trois coups derrière moi. Le seul problème, c’est que je ne sais pas ce que font les autres... Au 2e coup du 17, je prends le moins de risque possible et ma balle termine sa route juste sur le côté d’un bunker de green. Aucune chance d’aller vers le drapeau. Au final, je prends deux putts. Par sur ce par 5 alors qu’une heure avant, j’avais fait eagle (et birdie au 1er et 2e tours). Imaginons un instant que Els et Appleby aient fait 6 au 1 et 4 au 2… Avec quatre points d’avance, j’aurais évidemment joué mon 2e coup différemment. C’est là que l’organisation dans ce playoff m’a été clairement préjudiciable… On n’a d’ailleurs jamais su pourquoi on n’a pas joué à quatre… Le R&A s’est tenu de nous apporter la moindre explication. Comme souvent d’ailleurs. » 

Els, touché moralement

Avec un bogey au 18, le score total de Levet sur ses quatre trous est dans le par. Mais il doit encore attendre – chose totalement incroyable – la fin de l’autre partie pour savoir s’il a gagné ou non le British.
« Quand on termine, Appleby et Els sont encore sur le green du 16. On sait à peine ce qu’ils ont fait. C’est surréaliste. Quand ils sont sur le 17, on sait que Els a fait trois pars et qu’Appleby est à +2. Els est alors à égalité avec moi et doit faire le par au 18 pour partir en mort subite. C’est ce qu’il fait. Me voilà en face-à-face avec lui. Sur le 18. Le premier qui fait mieux que l’autre a gagné. Els ? J’avais déjà joué avec lui. Là, il était un peu touché moralement car il avait eu plusieurs coups d’avance lors du 4e tour. Quelque part, il nous avait donné la chance de disputer ce play-off (-3 au départ du 14, bogey au 14 puis double au 16, Ndlr). Moi, je suis dans ma bulle. Le 18, c’est un trou très difficile. Avec son fer 2, Els a passé facilement la bande de rough et s’est retrouvé milieu de fairway mais très loin du green, à 185 mètres du drapeau environ. Je joue mon driver et c’est la seule fois où ma balle part à gauche. Je prends le bunker de fairway. De là, je ne peux pas aller au green. A l’issue de mon deuxième coup, je suis court et il me reste encore 130 mètres. Els, lui, se met à gauche dans le bunker de green. Je suis encore trop court du trou sur mon 3e coup, à 8 mètres sur la gauche. C’est là que Els réalise une sortie remarquable et place sa balle à un mètre de la cible. Je ne peux éviter le bogey. Lui, je le sens quand même fébrile. Il a un putt pour la victoire avec ce par. Sa balle rentre, mais pas franchement au milieu… C’est fini ! » 

Thomas Levet soulève Ernie Els, vainqueur du British Open 2002 © AFP

Porté en triomphe

Survient alors cette scène incroyable où le perdant porte en triomphe le vainqueur. Une image qu’on n’a jamais revue dans un tournoi du Grand Chelem.
« J’ai alors le sentiment d’avoir tout donné. Je ne pouvais pas faire mieux. Je finis deuxième et je vais féliciter Ernie. C’est ce qu’on m’a toujours appris quand j’étais gamin. J’ai trouvé une belle façon de lui rendre hommage. »

Thomas Levet est revenu à Muirfield. C’était en 2013. L’année de la dernière rotation de The Open sur ce parcours qui est un peu rentré dans l’histoire de France…
« J’avais commenté la victoire de Phil Mickelson, conclut-il. Les gens voulaient tous faire une photo avec moi. « Elle était impossible cette sortie de bunker sur le 18 » m’a dit un gars qui vivait dans le coin. C’était drôle. Les gens, là-bas, vivent le truc à fond. C’est leur événement. Quand tu arrives à l’aéroport, ils vous regardent différemment. Ils voient le sac de golf et se disent : « tiens, ce gars-là, il joue The Open cette semaine ». Tout le pays vit pour ça. »