Malgré un cut manqué pour sa toute première apparition en Majeur, Frédéric Lacroix affiche un grand sourire au moment d’en tirer le bilan. Revenu de l’U.S. Open avec le plein d'expérience, il a matérialisé en Pennsylvanie la route qui le séparait encore des meilleurs mondiaux.

À l'U.S. Open, le golf est un sport qui se joue entre deux zones de (gros) rough. © Patrick Smith / Getty Images - AFP

Comment était cette première expérience en Majeur à l’U.S. Open ?
C’était vraiment génial. Très dur, mais génial. Le parcours est monstrueux, le champ de joueurs est monstrueux… Tout l’environnement est incroyable, il y a du monde partout, l’organisation est top, et le cadre à Oakmont est mythique. Évidemment, je suis un peu déçu de la manière dont ça s’est passé pour moi, mais ça reste une énorme expérience. Pour la suite, ce n’est que du positif.

Si on vous avait laissé choisir le parcours de votre premier U.S. Open, vous auriez choisi Oakmont ?
Probablement pas (sourire). J’aurais sûrement opté pour Pinehurst ou Pebble Beach, qui me parlent plus visuellement et que je place au-dessus ; surtout Pebble puisque j’ai joué un U.S. Amateur là-bas. C’était déjà bien mais j’imagine qu’un U.S. Open c’est… (il réfléchit) Une fois que tu as fait ça, tu as tout fait selon moi. À Oakmont, je trouvais perturbant le fait qu’il y a très peu de repères pour les lignes de jeu puisqu’il n’y a plus un arbre. Heureusement qu’il y avait les tribunes parce que sinon, bonjour ! Sur les réseaux sociaux, j’ai vu passé les photos de l’édition 1994 lorsqu’il y avait encore tous les arbres (10 000 arbres ont été supprimés, ndlr) et je pense que j’aurais préféré le jouer comme ça.

Comment fait-on pour ne pas se laisser happer par le décor et l’ambiance d’un Majeur ?
Il y avait tellement de choses à faire pour moi et c’était tellement exigeant que je n’avais pas vraiment le temps de flâner, donc ça n’a pas été trop dur de rester concentré. Au contraire, j’avais même l’impression de ne pas avoir le temps de me préparer tant le programme était dense. Ce qui m’a marqué, c’est le monde. Le dimanche qui précède le tournoi est très calme puisque tout est fermé : il n’y a pas grand monde, pas de bruit. Et puis le lundi matin, ça explose, c’est une fourmilière. En se positionnant au club-house, on observe le mieux la marée humaine puisque le bâtiment surplombe tout le golf. Et parce qu’il n’y a pas d’arbre, en fonction de la quantité de personnes réunies sur un trou, on comprend immédiatement où se trouvent les grosses parties.

P*****, je suis dans la m****, je ne vais jamais y arriver.

Frédéric Lacroix, après sa première balle dans le rough.

On a lu dans les colonnes de L’Équipe que vous aviez pris une « claque » dès les parties de reconnaissance. Qu’est-ce qui a provoqué ça ?
La préparation du parcours. Dans mon staff, je suis entouré de gens qui ont déjà participé à des U.S. Open et tous m’avaient prévenu de ce que ça allait être. Donc je m’étais fait une projection mais sur place, la réalité était encore un ou deux crans au-dessus de mon imaginaire. Il faut le vivre pour se rendre compte, pas juste le voir. Et je parle de le jouer, pas simplement de marcher sur le parcours. Dès le lundi matin, j’ai fait 18 trous avec Matthieu Pavon et au premier trou, je me suis mis dans le rough : je n’en suis jamais sorti. Et là j’ai pensé : « P*****, je suis dans la m****, je ne vais jamais y arriver », et je me voyais déjà jouer 90. On en a même rigolé avec mon caddie (Richard Logue, ndlr) qui est encore un bon joueur - il doit être 3 ou 4 d’index aujourd’hui - mais lui-même pensait ne pas scorer en-dessous de 100.

Et ensuite ?
J’ai remis les choses à plat. J’ai redémarré le cerveau et cherché des solutions. De toute façon je ne pouvais plus reculer (rires) ! Il m’a fallu plusieurs trous pour juste trouver un fairway et il m’en a bien fallu neuf pour me débloquer. Mais c’est un exercice qui n’est plus lié au golf technique, c’est mental. Parce que l’on sait que rien n’est pardonné. Tu loupes un coup, tu es dans la galère. Et pas juste un peu. C’est un combat de chaque instant pour faire le par. Mais ça, j’ai mis 27 trous dans le tournoi à vraiment l’intégrer.

Vous souvenez-vous de la dernière fois où vous avez connu une telle situation ?
Une totale remise en question, je n’en ai jamais eue comme ça. Mais je me souviens avoir déjà été sans solution à un Lytham Trophy en amateur, je devais avoir 18 ou 19 ans. En deux participations là-bas, j’ai peut-être joué 79 au mieux (77 au deuxième tour de l’édition 2014, ndlr) et je me suis dit que je n’y retournerai jamais. Bon, c’est un parcours qui accueille des British Open donc j’espère quand même y retourner un jour (rires) !

Pensez-vous qu’il faudrait plus de tournois aussi exigeants ?
Mais il y en a déjà, en fait. Les plus gros parcours sur le PGA Tour sont comme ça. Sauf qu’on ne s’en rend pas compte parce que les mecs du circuit sont tellement bons qu’ils arrivent à scorer. Ils ont normalisé ça. C’est d’ailleurs ce que l’on réalise le moins à la télé parce que, comme beaucoup, j’ai regardé le dernier tour dimanche et ça ne retranscrit qu’une petite partie de tout ça. Donc on en arrive vite à commenter dans son canapé « il a complètement raté, là » ou « ah, il est en train de craquer », mais rien que sur le plan mental, on n’imagine pas à quel point ils sont forts pour ne pas craquer encore plus. Les mecs sont vraiment au-dessus.

Est-ce la première chose que vous retirez de toute cette expérience ?
Franchement, en trois reconnaissances et en deux tours d’U.S. Open, j’ai pris autant d’expérience que sur une année entière sur le DP World Tour. Mais oui, j’ai surtout pris conscience à quel point les meilleurs sont loin devant. L’écart est plus grand que ce que je pensais, mais pas dans les compartiments que j’imaginais. Ce n’est pas tant dans la technique pure que dans l’état d’esprit, l’approche mentale, la lucidité à chaque coup. Je ne sais pas du tout si ça veut dire que je serais à leur niveau si j’étais aussi bon là-dedans, mais en tout cas ce sont des points que j’ai identifiés, et que je vais creuser dans les mois à venir.