Dans un long entretien qu'il nous a accordé juste avant Noël, le Néo-Calédonien est revenu sur sa saison 2023 couronnée de succès sur la deuxième division américaine. C'est un golfeur en pleine confiance qui s'apprête à faire son retour sur le PGA Tour, cette semaine à l'occasion du Sony Open in Hawaii.

Paul Barjon est au départ du Sony Open in Hawaii ce jeudi. © Alex Slitz / Getty Images - AFP

L'année 2023 a été spéciale pour vous, pas seulement au niveau du golf, mais avant tout parce que vous êtes devenu papa pour la première fois...
Oui, ça fait plus de huit mois maintenant que Camille est née ! C'était pendant le tournoi qu'on avait à la maison, pas loin de Dallas. Elle est née le lundi soir, on est rentrés à la maison le mercredi et j'ai essayé de jouer le jeudi, mais c'était un peu difficile ! Je suis resté à la maison la semaine d'après pour aider ma femme et sa mère qui était descendue, donc c'était bien de rester avec elles. Ensuite j'ai repris le cours de la saison. Ça a changé un peu la donne, mais dans le positif.

La naissance de votre fille vous a-t-elle imposé des contraintes supplémentaires ?
C'est un peu de l'organisation à prévoir. Même quand je suis à la maison, je ne fais plus des journées au golf de 7 heures du matin à 5 heures du soir. Ça m'oblige à être un peu plus efficace dans les entraînements, à mieux les programmer, pour passer le plus de temps possible avec ma femme et ma fille. C'est peut-être même mieux au final, car ça me permet de sauver un peu d'énergie par-ci, par-là, et d'être plus efficace à l'entraînement, au lieu de gaspiller du temps à ne pas trop savoir ce que je vais faire. Et après, en tournoi, je me couche tôt pour être sûr d'avoir assez de sommeil ! Mais ça se passe très bien.

Visiblement, cela ne vous a pas empêché d'être efficace puisque vous avez gagné deux fois et récupéré votre carte du PGA Tour. Comment voyez-vous le bilan de cette saison 2023 ?
L'objectif en début de saison était de finir dans le top 30, c'était le bas de la pyramide. Un peu plus haut, il y avait gagner un tournoi, et tout en haut c'était de finir n° 1 du ranking. C'est le seul truc qui n'a pas été accompli, mais ça reste évidemment une année très positive. Il y a eu pas mal d'améliorations dans la plupart des compartiments du jeu, donc ça aussi c'est très positif pour le long terme. L'année a été un peu bizarre avec un départ assez lent : je n'avais pas rejoué depuis l'Open de France 2022, fin septembre, donc j'étais resté trois bons mois sans jouer jusqu'à la mi-janvier. Les choses ont commencé à rentrer dans l'ordre grâce à un peu de répétition, puis je me suis qualifié pour l'U.S. Open, ce qui était très chouette. À Los Angeles, j'ai fait une bonne journée et une pas terrible et j'ai raté le cut, mais c'était sympa de rejouer à nouveau ce tournoi et de voir que le jeu allait dans la bonne direction. Puis la première victoire est arrivée peu après (le 2 juillet dans l'Illinois, ndlr), et je suis rentré dans le top 30 à ce moment-là. J'ai fait un top 10 la semaine d'après dans le Colorado, puis j'ai enchaîné avec des résultats moyens, autour de la 40e ou 50e place, et j'ai fini par sortir du top 30. Le jeu était correct mais il y avait toujours une journée sur les quatre qui m'éloignait des bonnes places. Ça manquait un peu de constance, et c'est un peu comme ça d'ailleurs que je résume la saison. J'ai su saisir les opportunités quand elles se sont présentées, mais en termes de régularité ce n'était pas ma meilleure saison. Mais j'ai su bien jouer au moment où il le fallait.

Lors de la finale du circuit, vous étiez dans l'obligation de réaliser un bon résultat pour remonter sur le PGA Tour. Comment avez-vous géré cette pression ?
Je savais qu'il fallait faire un bon résultat, un top 5 ou top 6 il me semble, pour attraper ma carte. J'étais dans une situation relativement simple, en tout cas plus simple que le gars qui était 30e et devait défendre sa place. Évidemment j'aurais préféré être 15e et jouer la finale pour du beurre, mais je n'avais vraiment rien à perdre. Mentalement, ce n'était pas compliqué à gérer. C'était sympa de gagner cette finale, bien sûr, sur un parcours que j'adore, et de récupérer cette carte du PGA Tour au bout d'un an seulement !

En quoi pouvez-vous dire que vous avez progressé dans presque tous les compartiments du jeu ?
J'aime bien regarder les statistiques, mais il y a aussi du ressenti. Je me suis amélioré au putting d'une part, et sur les coups à moins de 100 yards de l'autre. Je suis plus précis, plus régulier, et je pense avoir plus d'outils dans ma boîte qu'auparavant dans ce secteur particulier. J'ai des coups différents autour du green, j'ai progressé dans les bunkers aussi, donc je suis plus efficace autour du green. Après, que ce soit le putting ou le driving, ça n'a jamais été mauvais, toujours moyen ou moyen plus, mais ça continue à s'améliorer doucement, donc c'est très bien.

Qui sont les gens qui vous aident à progresser au quotidien ?
C'est toujours Jon Sinclair qui m'entraîne, ici au Texas, depuis une dizaine d'années. Depuis un an et demi, j'ai commencé à bosser avec Robin Cocq, qui lui est basé en France. Robin est venu fin novembre, début décembre, pendant trois jours, pour travailler strictement sur les coups en-dessous de 100 yards. On a fait un travail assez intense sur le wedging, le chipping et le putting. On a fait du bon boulot et j'espère que ça portera ses fruits.

Avez-vous joué en tournoi depuis la finale du Korn Ferry Tour, qui s'est déroulée début octobre ?
L'idée que j'avais à cette époque, c'était de jouer environ un tournoi par mois pour garder un minimum le rythme. J'ai réussi à en glisser un mi-novembre, le TaylorMade Invitational. C'est un rendez-vous dans le même esprit que l'AT&T sur les parcours de Pebble Beach, Spyglass Hill et Spanish Bay, avec un cut après trois tours et une dernière ronde le dimanche à Pebble Beach. J'ai plutôt bien performé puisque j'ai fini 3e ex æquo sur 43 pros et proettes. Mais en décembre, il n'y avait pas grand-chose à se mettre sous la dent, et je n'ai rien joué. J'ai bien profité de mon mois et demi off depuis ce TaylorMade Invitational, après une saison assez longue et éprouvante de janvier à octobre, mais j'ai hâte de reprendre maintenant !

Pour les joueurs qui ne sont pas dans le top 50 de la FedEx Cup de l'an dernier, le but va être d'intégrer ces tournois fermés et richement dotés qu'ils appellent les Signature Events. Pour cent mecs comme moi, ça va être le but, et il y aura des opportunités quoi qu'il arrive.

Vous retrouvez le PGA Tour avec plus d'expérience qu'il y a deux ans. Comment l'envisagez-vous ?
Je me sens bien. J'essaie de m'entraîner du mieux possible à tous les niveaux pour arriver au top de ma forme la deuxième semaine de janvier. J'ai déjà joué la plupart des parcours que je vais jouer en 2024, je commence à mieux connaître la logistique, les à-côtés de la vie sur le Tour, donc ça va être un poil plus facile j'espère. Le plus important pour moi sera d'être vraiment prêt mentalement.

Comment envisagez-vous cette saison sur un PGA Tour à deux tableaux, avec des tournois à champ réduit réservés aux meilleurs d'un côté, et des tournois normaux pour les autres ?
Évidemment, pour les joueurs qui ne sont pas dans le top 50 de la FedEx Cup de l'an dernier, le but va être d'intégrer ces tournois fermés et richement dotés qu'ils appellent les Signature Events. Pour cent mecs comme moi, ça va être le but, et il y aura des opportunités quoi qu'il arrive. Pour l'instant, j'ai coché les tournois dans lesquels je rentre et mis un point d'interrogation sur les autres. À moi de me créer les occasions et de les convertir. Je vais pour l'instant jouer le Sony, l'American Express, le Farmers, et ensuite deux semaines off pendant Pebble Beach et a priori Phoenix où je ne suis pas sûr de rentrer, même si ce n'est pas un Signature Event. Après, point d'interrogation pour Riviera, et ensuite Mexico et le Cognizant. Voilà pour les deux, trois premiers mois du calendrier.

Le fait qu'il y ait deux circuits en un sur le PGA Tour, ce n'est pas frustrant ?
Je ne trouve pas ça très juste, c'est sûr. Mais de l'autre côté, ceux qui ramènent les sponsors sont les joueurs pour qui ils ont créé ces Signature Events. On ne peut pas tout avoir non plus... Sportivement, ce n'est pas très juste que certains joueurs aient des points gratuits et beaucoup d'argent garanti ; mais de l'autre côté il y a des opportunités pour les joueurs comme moi, cinq places à prendre sur ces Signature Events lors des quelques tournois normaux qui les précèdent. Ça fait beaucoup de points garantis pour certains sans avoir à performer, mais c'est la loi de la compétition, en tout cas en ce moment. Et puis ce n'est pas comme si ces Signature Events étaient totalement fermés : tant qu'il existe des opportunités, à moi et aux joueurs dans le même cas que moi de les saisir.

Victor Perez et Matthieu Pavon (ici à St Andrews en 2019) évolueront avec Paul Barjon sur le PGA Tour en 2024. © Mark Runnacles / Getty Images - AFP

Que vous inspire le fait d'être rejoint par Victor Perez et Matthieu Pavon sur le PGA Tour cette saison ?
Évidemment, ça va être top ! On veut tous qu'il y ait le plus de Français possible sur le PGA Tour, donc ça va être sympa de les avoir. On s'était croisés à l'U.S. Open en juin, mais rapidement, sans avoir vraiment le temps de se côtoyer. J'ai parlé un peu à Matthieu, et on verra s'il y a des occasions durant la saison de partager des maisons, ça pourra être sympa. Je pense qu'on va avoir à peu près le même calendrier tous les trois, donc je suis sûr qu'on va pouvoir partager des parties de reconnaissance, passer du temps ensemble, et tout simplement parler français ! Et puis, se tirer vers le haut les uns les autres.

Vous vous connaissez bien ?
On se connaît depuis longtemps, mais ça fait longtemps qu'on ne se voit plus trop ! Avec Victor, on a joué ensemble un peu en équipe de France quand on était amateurs, et je connais aussi Matthieu de cette époque-là, mais je ne crois pas avoir déjà joué une partie en tant que pro avec l'un ou l'autre. Ça fait quand même quelques années qu'on ne s'est pas côtoyés, du fait qu'on jouait sur deux continents différents...

Un de vos amis, Hayden Springer, a lui aussi décroché son droit de jeu lors de la finale des Cartes, quelques semaines après avoir vécu un drame personnel...
Il a joué dans la même fac que Julien Brun et moi, à TCU, et peu de temps avant la finale des Cartes il a perdu sa fille aînée, qui avait 3 ans, à la suite d'une maladie de naissance... Il avait gagné deux tournois sur le circuit canadien cet été, et la money list, et il s'est donc qualifié pour cette finale, où il a décroché sa carte du PGA Tour. Donc en quelques mois, il est passé du circuit canadien au PGA Tour, donc j'étais ravi pour lui. C'est un ami que ma femme et moi connaissons bien, et le fait qu'il ait perdu son aînée, et que notre fille ait à peu près le même âge que sa seconde, nous a fait réaliser la chance qu'on a. La vie ne tient parfois à un fil... Donc c'était top pour lui de voir que la roue tourne un peu en sa faveur, même si évidemment ça ne compense en rien la perte de son enfant. En tout cas, je me réjouis de le retrouver cette année.

La seule chose que je peux faire, c'est de tirer le maximum des 25 ou 30 opportunités que je vais avoir cette année ; le reste est complètement hors de mon pouvoir.

Pour finir, quelle est votre opinion sur la gestion actuelle du PGA Tour ?
C'est quelque chose que tous les joueurs suivent avec attention. Je préférerais, comme tout le monde, que les meilleurs joueurs restent sur le PGA Tour : quand on voit Jon Rahm partir sur le LIV, c'est un peu décevant pour des joueurs comme moi. Après, il y a des opportunités sur le PGA Tour qui se sont créées un peu grâce au LIV, avec notamment des dotations augmentées, et des joueurs lambda comme moi et une centaine d'autres en bénéficient au final. Ceci dit, j'ai des doutes sur la direction que prend le circuit, mais je n'ai pas assez d'informations pour savoir comment ça va se terminer. La seule chose que je peux faire, c'est de tirer le maximum des 25 ou 30 opportunités que je vais avoir cette année ; le reste est complètement hors de mon pouvoir. Mais ce serait bien que tout rentre dans l'ordre et qu'on puisse tous jouer au golf ensemble, et que le meilleur gagne. Pour le reste, j'essaie de ne pas perdre trop de temps et d'énergie à penser à tout cela.