Promis à une saison 2024 sur le Pro Golf Tour en tant que joueur, Alexandre Fuchs a été engagé par son camarade d'université Kieran Vincent pour porter son sac sur le LIV Golf. Un changement de vie pour l'Azuréen, et une plongée dans l'univers du circuit dissident, à propos duquel il n'hésite pas à contredire certaines critiques habituelles.

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Alexandre Fuchs est, depuis le début d'année 2024, le caddie du joueur zimbabwéen Kieran Vincent, qui évolue sur le LIV Golf. © Sarah Reed / Getty Images - AFP

Oui, il y a un joueur français sur le LIV Golf cette saison. À une importante nuance près : il arpente le parcours habillé d’une chasuble, et avec un sac sur l’épaule. Mais à la base, Alexandre Fuchs est bel et bien un joueur, passé par l’équipe de France amateur Messieurs, à l’époque où il étudiait à l’université américaine de Liberty, puis par le PGA Tour Canada au début de sa carrière professionnelle.

Or donc, depuis le début de l’année, sa casquette a changé. Littéralement déjà, puisqu’il se couvre désormais le chef des couleurs de Legion XIII, l’équipe dont fait partie son joueur, Kieran Vincent, et dont le capitaine n’est autre que Jon Rahm. Métaphoriquement ensuite, puisque l’Azuréen officie donc désormais comme caddie du joueur zimbabwéen Kieran Vincent, avec qui il est très ami depuis que les deux ont partagé leurs années de fac. Et comme ledit Kieran Vincent a décroché son billet pour la ligue créée en 2021 sur fonds saoudiens en décembre dernier, lors de la première édition du LIV Golf Promotions, le Français, qui ne disposait de droits de jeu que sur le Pro Golf Tour (circuit de troisième division européenne) pour cette saison, se retrouve à côtoyer des vainqueurs de Majeurs sur des parcours aux quatre coins de la planète.

Une décision à un jour près

En janvier dernier, dans ces mêmes colonnes, alors qu’il s’apprêtait à faire sa rentrée de joueur du Pro Golf Tour, Alexandre Fuchs l’assurait : l’objectif était clairement de ne pas faire de vieux os sur ce circuit satellite allemand. Peut-être n’imaginait-il pas, en le disant, qu’il n’allait, en réalité, même pas prendre part à un tournoi. Car pendant ce temps-là, Kieran Vincent, en rade de caddie, mûrissait sa réflexion quant à l’identité de celui qui porterait son sac. Et pourquoi pas son pote français, qui l’avait déjà dépanné en la matière, en 2023, lorsqu’il avait participé à l’étape du LIV à Washington (où réside par ailleurs Alexandre Fuchs) en tant que réserviste, à la suite du forfait de Jason Kokrak ?

« Ça ne m’était pas passé par la tête de faire ça plein temps à l’époque, avoue le natif de Mouans-Sartoux. Mais comme Kieran s’est qualifié pour jouer sur le LIV, et comme je n’avais des droits de jeu que sur le Pro Golf Tour, je lui ai proposé de devenir son caddie permanent. Il a réfléchi pendant un mois, et il m’a dit oui. » Une réponse qui est arrivée à temps : le lendemain, Alexandre Fuchs devait partir pour l’Égypte, où se jouait le tournoi d’ouverture de la saison. « C’était un peu stressant pour moi entre décembre et janvier, je ne savais pas trop ce que j’allais faire », ajoute-t-il.

Une fois la décision prise du côté du Zimbabwéen, au contraire, les choses se sont mises dans le bon sens, et assez vite. Début décembre, la veille du lancement du LIV Golf Promotions, Jon Rahm annonçait rejoindre le circuit concurrent du PGA Tour. Ayant obtenu le droit de constituer sa propre équipe de quatre joueurs, l’Espagnol recrutait Kieran Vincent dans la toute nouvelle Legion XIII. Une semaine avant le début de la saison, le 2 février à Mayakoba, au Mexique, un autre renfort de poids est arrivé : l’Anglais Tyrrell Hatton. Ainsi armée, la Legion fait vite merveille : victoire collective à Mayakoba, et une autre début avril sur le très exigeant Blue Monster de Doral.

Dire que la vie d’Alexandre Fuchs a changé au travers de toute cette période est pousser le concept d’euphémisme assez loin. Il lui a tout d’abord fallu décider de mettre entre parenthèses sa propre carrière de joueur, sans toutefois que cela suscite chez lui beaucoup d’amertume. « Pour l’instant, je n’ai plus trop le désir de jouer à haut niveau, admet-il. Je pense que ça changera au bout d’un moment, mais pour l’instant c’est comme ça. » Il faut dire que la fin de saison dernière a été assez rude à encaisser. Malgré un niveau de jeu bien plus satisfaisant qu’en début d’année, et une première étape franchie lors de la campagne des Cartes européennes, il a échoué de deux coups seulement lors de la deuxième, avant de connaître un sort pareillement cruel dans les qualifications du PGA Tour.

« Ça m’a mis un coup au moral, et ça m’a vraiment démotivé, raconte-t-il. J’avais des ambitions de jouer soit sur le Challenge Tour, voire le DP World Tour, soit sur le Korn Ferry Tour. Je trouvais que je n’étais pas assez bon pour jouer au niveau auquel je voulais. »

Ensuite, et Alexandre Fuchs ne s’en cache nullement, l’aspect financier a été un facteur dans sa décision. Car même en ne touchant qu’un pourcentage (laissé à l’appréciation de chaque joueur) des dotations de Kieran Vincent, le changement d’échelle est total par rapport à la perspective de jouer sur le Pro Golf Tour. Surtout si l’on considère que le LIV Golf prend lui-même en charge les déplacements des caddies, ainsi que la très grande majorité de leurs frais une fois sur place. « Le Pro Golf Tour, c’est un circuit où on ne peut pas vraiment gagner sa vie, explique le Français. Et je suis à un moment de ma vie (il a eu 26 ans en février, NDLR) où j’ai envie de pouvoir m’assumer financièrement. » Pour illustrer la différence d’ordre de grandeur, il donne l’exemple du dernier tournoi en date du LIV Golf, du 3 au 5 mai à Singapour « Sur ce tournoi, j’ai gagné plus d’argent qu’un joueur du Pro Golf Tour qui monte sur le Challenge Tour en fin de saison sur toute l’année. »

« Celui qui m'impressionne le plus, c'est Tyrrell Hatton »

Sa motivation et son enthousiasme ne s’arrêtent cependant pas seulement à des questions d’argent. Alexandre Fuchs cite ainsi le fait de côtoyer des joueurs de gros calibre comme un facteur déterminant. D’autant que la Legion XIII lui permet de passer beaucoup de temps au voisinage de Jon Rahm et Tyrrell Hatton. « Ce sont deux mecs hyper cools, livre-t-il. Et je dois avouer que celui qui m’impressionne le plus, c’est Tyrrell Hatton. Il ne rate pas un coup. Alors oui, il a des réactions, parfois il lâche son club, alors que sa balle tombe à deux mètres du trou. Il a une telle exigence envers lui-même que, dès qu’il rate un tout petit peu, ça l’énerve vraiment. Mais le plus impressionnant, c’est que ça ne l’affecte jamais pour le coup d’après. »

D’une manière générale, le Français est admiratif des profils les plus en vue du LIV Golf, tels que Brooks Koepka, Dustin Johnson ou Lee Westwood. Ce qui lui permet, au passage, de contredire l’une des critiques parfois adressées à la ligue, qui serait peuplée de joueurs en fin de carrière, uniquement appâtés par le gain. « Ça peut être un peu vrai, mais un mec comme Westwood, il n’est pas là pour faire de la peinture, pointe-t-il. Il est au practice, il s’entraîne. Sergio Garcia, pareil. Ces types sont des machines, et ils sont tous là pour gagner. »

En faisant l’expérience de ce qu’est la vie sur le LIV, Alexandre Fuchs n’est d’ailleurs pas avare en relativisation, voire en démentis, de ce que les détracteurs du circuit peuvent en dire çà et là. « Quand j’étais sur le PGA Tour Canada, le LIV faisait peur, se souvient-il. Et il y avait pas mal de propagande contre lui, avec beaucoup de commentaires négatifs : c’est un tour sponsorisé par l’Arabie Saoudite, sous-entendu c’est de l’argent sale, les joueurs qui y sont n’y sont que pour l’argent… En vrai, pour les fans sur place, c’est très bien agencé, c’est beaucoup plus agréable d’aller en tant que spectateur sur un tournoi du LIV que sur un tournoi du PGA Tour, il y a la musique, des endroits pour que les enfants jouent, des concerts le soir, c’est vraiment une fête. »

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Dans la Legion XIII, Alexandre Fuchs (à gauche) passe beaucoup de temps aux côtés de Tyrrell Hatton et Jon Rahm. © Megan Briggs / Getty Images North America - AFP

Il a, par ailleurs, du mal à voir un fond de vérité dans l’affirmation que le LIV rend les parcours plus faciles, afin d’assurer des birdies, et donc du spectacle. « Les scores ne sont pas beaucoup plus bas sur le Liv que sur le PGA Tour en général, constate-t-il. À Mayakoba, au Doral ou à Las Vegas, ce sont des parcours qui ont déjà accueilli le PGA Tour. Et ils essaient toujours de rendre les greens fermes. Le Doral, par exemple, c’était un monstre. »

La seule critique d'origine interne parvenue à ses oreilles a émané du caddie du Polonais Adrian Meronk, à qui manquait le fait de devoir se battre pour un cut et sur quatre tours, le LIV n'organisant des tournois que sur trois rondes, et sans élimination en cours de route. « Je trouve qu’il n’a pas tort, admet-il. Il y a plus de chances d’avoir un type qui finit haut alors qu’il joue moyennement, et moins de chances d’avoir un gars qui joue bien et qui gagne. Par exemple, Jon Rahm, il n’a pas encore gagné en individuel, et je pense que l’une des raisons, c’est parce qu’il n’y a que trois tours. Donc il n’a pas le temps de mettre la pression sur un quatrième tour. »

En mettant tous ces aspects bout à bout, Alexandre Fuchs compte bien, dans l’immédiat, embrasser pleinement la vie de caddie de Kieran Vincent sur le LIV Golf. Et même un peu au-delà, comme cette semaine, où le Zimbabwéen dispute son open national, épreuve comptant pour le Sunshine Tour, le circuit professionnel sud-africain. Il essaie en effet de maximiser ses occasions de marquer des points mondiaux que les tournois du LIV, en l’état actuel des choses, ne lui fournissent pas. Si toutefois son expérience sur le circuit fermé venait à s’arrêter, cela lui donnerait la perspective d’un retour probable sur l’Asian Tour, où il avait gagné un tournoi en 2023. Et pour Alexandre Fuchs, ce serait sans doute la source d’une nouvelle réflexion.