Si le succès de Matthieu Pavon, ce samedi à Torrey Pines, peut être considéré comme le premier d'un Français sur le circuit américain dans l'ère moderne, Arnaud Massy et Louis Tellier sont eux aussi crédités de victoires officielles sur le PGA Tour.

Arnaud Massy, Matthieu Pavon et Louis Tellier. © D. R.

« À jamais le premier ! » Converti au singulier, le slogan des fans de l'Olympique de Marseille post-26 mai 1993 est sans doute l'expression la plus galvaudée dans le microcosme du golf français depuis la victoire de Matthieu Pavon au Farmers Insurance Open, il y a deux jours de cela. Comprenez : « À jamais le premier golfeur français à s'imposer dans un tournoi du PGA Tour ». Toutefois, le fait qu'elle soit imprimée en capitales dans la presse, suivie de quinze points d'exclamation dans un post sur les réseaux sociaux, ou hurlée dans un micro, ne rend pas l'assertion plus exacte pour autant. Pourquoi ? Parce que deux autres golfeurs français sont également crédités de victoires sur le PGA Tour, remportées à des dates nettement antérieures à ce samedi 27 janvier 2024.

 

Arnaud Massy, le père fondateur

Durant la retransmission télévisée du dernier tour, mêmes les commentateurs américains se sont laissés emporter par l'excitation du moment, somme toute bien légitime : « France has a first! » (« La France tient sa première victoire ») pouvait-on entendre sur CBS à l'instant où l'ultime putt de Pavon trouvait le trou. Avant se corriger, un peu plus tard, à l'écrit... et non sans inexactitude. « Not since Arnaud Massy's 1907 Open Championship win had a Frenchman won a PGA TOUR recognized event » (« Jamais, depuis le succès d'Arnaud Massy au British Open de 1907, un Français n'avait gagné de tournoi reconnu par le PGA Tour »), peut-on lire dans le compte-rendu publié sur le site officiel du circuit américain.

Arnaud Massy a en effet remporté l'open britannique il y a près de 117 ans, triomphant à Hoylake dans la 47e édition du plus prestigieux tournoi de golf du monde. Au même titre que les victoires de Bobby Jones, Walter Hagen, Sam Snead et autres Ben Hogan, celle du Basque est dûment comptabilisée par le PGA Tour, qui pourtant n'existait pas encore. « À l'époque où le circuit était régi par la PGA of America, ce n'était pas considéré comme officiel. À la création du PGA Tour, en 1968, lorsque les joueurs ont fait sécession de la PGA, le Tour a continué à ne pas reconnaître les victoires à l'Open britannique pendant de longues années, avant d'inverser sa position et de les prendre en compte rétroactivement », nous écrivait Laury Livsey, l'historien du PGA Tour, dans un échange de messages au début du dernier mois de décembre. Pour l'anecdote, ce changement d'orientation, opéré en 2002, permit à Snead, en ajoutant à son total sa victoire de 1946 à St Andrews, d'atteindre la barre des 82 titres, ce qui constitue toujours le record en la matière - partagé avec Tiger Woods.

Évidemment, la victoire d'Arnaud Massy en 1907 sur la côte Ouest de l'Angleterre n'a concrètement pas grand-chose de commun avec la notion de circuit américain. Celui-ci naquit en 1916, année de la fondation de la PGA of America, l'association défendant les intérêts des professionnels de golf des États-Unis. Pendant plus d'un demi-siècle, c'est cette dernière qui organisa le jeu professionnel outre-Atlantique, jusqu'en 1968 lorsque les joueurs, souhaitant prendre en main leur destinée, firent sécession. La première saison du PGA Tour en tant qu'entité indépendante eut donc lieu en 1969, sous l'appellation de Tournament Players Division Tour, et le circuit ne fut rebaptisé PGA Tour qu'en 1975.

Louis Tellier, le pionnier oublié

Entretemps, un autre professionnel français avait gravé son nom dans l'histoire de ce circuit américain qu'on n'appelait pas encore PGA Tour. Louis Tellier, Versaillais de naissance qui avait découvert les États-Unis à l'occasion de l'U.S. Open de 1913 dont il avait fini quatrième, s'était installé outre-Atlantique quelques mois plus tard pour y exercer le métier d'enseignant. Membre fondateur de la PGA américaine (sa signature figure sur l'acte de naissance de l'institution le 10 avril 1916), il disputait comme la plupart de ses confrères les tournois qui se multipliaient alors sur la côte Est.

Le 12 juillet 1920, il avait remporté avec le score de 145 le championnat de la Nouvelle-Angleterre, épreuve organisée sur 36 trous dans la même journée au Wannamoisett Country Club. Or cette compétition, qualificative pour le PGA Championship de la même année (où il atteignit les quarts de finale), figure au calendrier officiel de la PGA of America... « Le PGA Tour reconnaît officiellement cette victoire au New England Pro Championship à Rumford, Rhode Island », tranche Laury Livsey. Tellier remporta même un autre succès outre-Atlantique l'année suivante, au Massachusetts Open, mais cette édition de 1921 ne figure pas au calendrier de la PGA américaine, pour des raisons que l'on ignore encore, alors que c'était le cas en 1919 et 1920, puis de 1922 à 1937... L'enquête continue !

Matthieu Pavon, l'héritier

Alors, Matthieu Pavon est-il le premier, deuxième ou troisième ? Les époques, les lieux et les circonstances de ces trois victoires françaises étant très différents les uns des autres, chacun est libre de se faire sa propre idée sur la question, tout en gardant à l'esprit que l'important est ailleurs. Ce que montrent avant tout ces modestes recherches historiques, c'est que le golf français masculin n'est pas né avec la victoire du Bordelais samedi à Torrey Pines, pas plus que le golf français féminin n'est né avec le triomphe de Céline Boutier à Évian l'an dernier.

Au contraire, elles prouvent que la petite balle blanche est une affaire de tradition dans notre pays, et que nos plus illustres champions l'exportent fièrement, partout dans le monde, depuis plus d'un siècle. Alors, qui sera le prochain ? L'avenir nous le dira, mais on veut bien prendre le pari que la prochaine victoire d'un Bleu sur le PGA Tour n'attendra pas 117 ans !