Dans un échange où il évoque aussi bien sa philosophie de vie qu’il éteint la conception télé-shopping de la médecine chinoise, Sébastien Gros offre un aperçu sur un cerveau qui tourne bien, quoique parfois trop. De la descente à la reconnexion de l’homme au détriment du joueur, tout y passe presque sans détour.

Sébastien Gros évolue depuis 2019 sur le Challenge Tour, deuxième division européenne.. © WARREN LITTLE / GETTY IMAGES VIA AFP

C’est une discussion qui démarre à la sortie du supermarché. Sébastien Gros y quitte les lieux avec les sacs bien remplis par une viande hachée, une bavette, des oignons, des gousses d’ail et des aubergines… « On part sur une moussaka » lâche-t-il avec entrain. Ce vendredi de fin avril, pas de Challenge Tour pour lui aux Émirats Arabes Unis faute de catégorie suffisante pour entrer dans le champ. Le Rhodanien en a donc profité pour jouer le Win Pro-Am organisé la veille au domaine de Saint-Clair pour entretenir la technique et, surtout, peaufiner sa double casquette de joueur et homme d’affaires.

La seconde fonction est pompeuse, mais le travail est en réalité plus chaleureux. Nouvellement associé depuis le début d’année avec le fondateur du Win Tour, Stanislas Caturla, pour créer la structure événementielle Win Events avec Kevin Turlan en troisième associé, Sébastien Gros opère avec ces derniers un travail de l’ombre dans un but défini : « Que les pro-am aient de nouveau un intérêt pour les pros et les amateurs. » Il précise : « Je sors des courses, donc j’ai conscience de l’inflation et du besoin qu'il y a d’assurer des primes minimales pour les joueurs (actuellement à 300 euros par jour pour les Win Pro-Am, ndlr) tout en redonnant une expérience aux amateurs qu’ils ont, depuis trop longtemps, acceptée de ne plus avoir. » Si l’ambition va même au-delà avec un gros projet pour 2024 dont il garde secrète la teneur, il se satisfait déjà des événements accomplis. Preuve en est, sa participation en tant que joueur aux deux premiers Win Tour de l’année, qu’il conclut aux première et deuxième places - ses meilleures performances sur ce circuit depuis 2021. « Comme m’a dit un ami, je devrais m’associer avec le DP World Tour vu que ça fonctionne bien quand je suis associé », partage-t-il sur le ton de la rigolade.

Voilà cinq années que le circuit européen et lui ne se sont plus vus. Après une montée fulgurante en 2016 et des résultats qui lui font frôler le Graal de la victoire, il en descend fin 2018 pour, depuis, évoluer sur la deuxième division. Une demi-décennie loin d’être la plus simple de sa carrière. Courant 2017, il se sépare de son coach d’alors, Benoît Teilleria, avec qui la relation de collaborateur avait pourtant muée en amitié vieille de quatre ans. « Je pensais que c’était ce qu’il me fallait, amorce-t-il. Lui m’a laissé partir parce qu’il n’était pas content du mec que je devenais : c’est-à-dire que le circuit me bouffait la tête parce que j’étais en manque de résultats. » Sa première année sur le Challenge Tour se fait alors entre les mains de Franck Lorenzo Vera, avec qui il travaille pendant près de deux ans. Mais à l’instar d’un regret sentimental, il revient en 2019 vers son premier amour et réitère ses allers-retours entre le Rhône et le Pays basque. « Il a d’abord rappelé l’ami avant le coach », confie de son côté celui qui l’entraîne à nouveau. Dans une période où il n’est pas au meilleur de son jeu et de sa forme, le Basque lui conseille alors de voyager, ce que le joueur applique en fonçant faire un tour des routes polonaises pendant trois semaines. Une nécessité à l’époque.

L’art incompris du travail mental

Aujourd’hui, il a digéré. Il sait qu’à 33 ans, son rêve d’être n° 1 mondial n’est plus ; « j’espère me tromper », sourit-il. Mais l’objectif est bien de revenir. « Je n’utilise pas le mot "revenir", car ça traduit que je suis encore dans cette période, et ce n’est plus le cas. Je préfère dire que je vais monter sur le DP World Tour. » Le jargon témoigne d’un mécanisme mental qui traduit l’acceptation : le swing, le corps et le cerveau n’ont pas « changé » mais plutôt « évolué ». Mais c’est aussi la compréhension qui le guide. Car Sébastien Gros est un cartésien. « Un mec intelligent et impliqué », résume Teilleria. Depuis ses 14 ans, le travail mental fait partie de sa vie. « J’ai exercé avec des psychologues, psychiatres, préparateurs mentaux, sophrologues… on parle de travail mental dans le sport mais il y a tellement de choses derrière. »

Au-delà du besoin professionnel en quête de performance, se dégage un réel attrait pour le cerveau dans le but de se « reconnecter à ce qui est concret ». Le sien fonctionne tout le temps, parfois trop. Plusieurs fois a-t-il souhaité le ramener à une activité plus simple pour accomplir la tâche en apparence aisée qu’est de taper une balle vers une cible. En vain. Alors plutôt que de contrer le naturel, il l’embrasse à coups d’exercices mentaux, de podcasts et plus récemment de médecine chinoise qu’il a en substance approchée lors de son expérience sur l’Asian Tour en 2013. « Certains diront que plus je vieillis, plus je suis perché. Mais quand on sait que la médecine chinoise existe depuis 5000 ans contre 300 ans de médecine moderne, si c’était bullshit, ça aurait disparu comme un aspirateur qu’on te vend au téléshopping avant que le nouveau n’arrive. »

Au-delà du sportif, ce fonctionnement s’inscrit dans une quête plus globale, celle d’être « un meilleur mec plutôt qu’un meilleur joueur ». Un discours déjà existant au détour d'une interview au Win Tour de Royal Mougins en 2021 qui a davantage trouvé écho cette année après un fait de vie survenu au début de l’année 2023. « Le golfeur n’existera pas toujours alors que le mec oui. J’essaie donc de faire au mieux pour me coucher chaque soir en étant fier de la personne que j’ai été la journée », ajoute-t-il.

Du vieux avec du neuf

Malgré tout, l’athlète ne passe pas totalement au second plan non plus. Car là aussi, ce serait vain. « Seb Gros », comme beaucoup le surnomment, est ce « vrai passionné du golf, prêt à tout pour réussir et qui avait la dalle » décrit par Benoît Teilleria qui revient désormais à ce qu’il était : « Un joueur qui swingue avec des défauts et qui aime faire des grandes courbes ». La méthode en revanche a changé. Enfin, évolué. « C’est un gars qui pouvait rester sept heures à taper au practice sur la même cible », raconte le technicien, quand le joueur répond : « Benoît a réveillé un côté artistique chez moi, reste à savoir quand faire appel au Seb Gros mathématicien et quand s’en remettre au Sebastiano Picasso. »

La nouvelle association demeure cependant progressive, basée sur un pragmatisme à l’anglo-saxonne où, la progression justement, doit démarrer par des accomplissements d’une simplicité évidente. Un enseignement tiré de l'époque où double vainqueur sur le Challenge Tour s'entraînait avec le coach écossais Hugh Marr en complément de Benoît Teilleria. La règle est donc la même pour le DP World Tour, décomposée en trois étape. « La première est de faire top 70 du Challenge Tour. Si celle-ci est validée, se présentera alors la deuxième : le top 45 permettant de jouer la finale du circuit. Enfin, la troisième : finir dans les 20 premiers du classement ou bien aller à la finale des cartes. Si je me retrouve à sauter des étapes, très bien. Et si je dois y consacrer du temps, très bien aussi. Dans tous les cas, je ne suis pas en train de faire mon jubilé en 2023. »