Dans cette série, retour sur quatre victoires françaises marquantes au British Amateur. À tout seigneur tout honneur : premier épisode aujourd’hui sur le succès de Philippe Ploujoux, en 1981, premier Français et premier Européen continental à s’être imposé chez les messieurs.

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Philippe Ploujoux a été le premier Européen continental à remporter le British Amateur. © R&A

Bientôt quarante années ont passé, et les souvenirs sont intacts. Souvenirs d’une semaine de golf de rêve, en 1981, au cœur du temple de Saint-Andrews. Et dans le rôle du rêveur, un Français, VRP dans le textile de profession et champion de France 1977 de palmarès au moment de débarouler dans la Mecque du golf. Son nom : Philippe Ploujoux.

« Et là, je me suis mis à super bien jouer »

Le paradoxe est relaté par l’intéressé encore aujourd’hui : à l’aube de l’été 1981, son meilleur golf était pour une grande part derrière lui. Né en 1955 à La Bouille, en Seine-Maritime, et élevé au golf sur les fairways de Rouen et les greens roulants et ventés de Dinard, Philippe Ploujoux a connu la majeur partie de ses succès entre 1972 et 1977. En plus de son titre national amateur, il a récolté de beaux résultats à l’Open de France.

À l’époque, le British Amateur (ou The Amateur Championship outre-Manche) ne présente pas encore de qualification en stroke play sur 36 trous, dispositif introduit en 1984. Tout juste le tableau compte-t-il des têtes de série, mais hormis cela, les 256 engagés s’en remettent au tirage au sort, et l’aventure s’arrête au bout d’un match pour la moitié d’entre eux, et de deux pour les trois quarts.

Dès l’entame, quelques signaux favorables à Philippe Ploujoux faisaient presque penser à une bonne étoile. « Je devais jouer au premier tour contre un Italien que je redoutais, se souvient-il. Mais finalement, il n’est pas venu. Et là, je me suis mis à super bien jouer. »

J’avais toujours eu la réputation d’être un bon putter. Mais là, je rentrais des 15 m et des 20 m.

Philippe Ploujoux

Les circonstances favorables sont une chose, et le jeu en est une autre. Certes, le Français, ayant connu une période de chômage peu avant le tournoi, avait « retrouvé un petit niveau », selon ses dires. Un petit niveau qui n’a cessé, au fil des tours, de rejoindre les cimes, notamment au putting. « Toute la semaine, j’ai rentré un nombre de putts incroyable, sourit-il. J’avais toujours eu la réputation d’être un bon putter. Mais là, je rentrais des 15 m et des 20 m. » La presse britannique ne passe pas à côté du phénomène, et titre « Vive le putter », en français dans le texte.

L’aise montrée par le Français sur et autour des greens n’avait néanmoins rien du miracle. Depuis des années, Philippe Ploujoux passait un à deux mois par an en Grande-Bretagne, sur les links. « Quand vous jouez contre les Britanniques, que vous avez l’impression de bien jouer et qu’ils vous mettent des taules, ça apprend l’humilité, souligne-t-il. Et là, vous comprenez l’importance du petit jeu. »

Des putts rentrés… et encore des putts rentrés

En demi-finale, Philippe Ploujoux affrontait l’Irlandais John Carr, fils de Joe Carr, triple vainqueur de l’épreuve (1953, 1958 et 1960). « Avant le départ, le père s’est avancé vers moi, m’a tendu la main et m’a dit "Je suis Joe Carr". Je lui ai répondu "Oui, je sais"», narre-t-il.

Le fiston, lui, allait faire les frais de l’épisode relaté par le Français comme son souvenir le plus marquant. Au par 4 du 16, balayé par un vent de travers, l’attaque de green de Philippe Ploujoux, jouée avec un long fer, trouvait bel et bien le green… mais du 2. Un grand classique sur les immenses doubles greens de l’Old Course« J'étais à 70 ou 80 m du drapeau. Je me suis dit que si je puttais, j’allais finir n’importe où, explique-t-il. J’ai donc joué un fer 9, qui a fini à sept ou huit mètres. J’ai rentré le putt. Le mec en face était fou. »

L’Irlandais, tremblant, rentrait son petit putt pour le par par la porte du jardin, pour prolonger le match jusqu’au 17 où il allait finir par rendre les armes. « Après le coup du 16, mon caddie m’a pris dans ses bras. Je lui ai dit que le match n’était pas fini, mais il m’a dit : "Regarde l’autre, il tremble". »

Je ne comprenais pas la moitié de ce qu’il me disait mais il connaissait le parcours absolument par cœur.

Philippe Ploujoux

Le caddie en question était un Écossais pur sucre, l’accent local en bandoulière, et répondant au nom tout choisi de Jock Ballantines. Une rencontre fortuite entre les deux hommes en début de semaine, sur les marches du mythique club-house de Saint-Andrews, l’avait propulsé sur le sac du Français. « Je ne comprenais pas la moitié de ce qu’il me disait, rigole ce dernier. Mais il connaissait le parcours absolument par cœur. » Et Philippe Ploujoux de reproduire les « Inside right, and firm », le "r" roulé à l’écossaise, que Ballantines lui lançait en guise de conseil sur certains putts courts.

« Quand j’ai gagné, il était fou de joie, narre-t-il. Après ça, je l’ai eu une ou deux fois au téléphone, mais je ne l’ai jamais revu. » Ballantines, aujourd’hui décédé, n’avait pas non plus oublié le Français après son succès. Gratifié de la balle de la victoire, il l’avait exposée en vitrine, dans le club-house de son propre club écossais.

Une finale maîtrisée

Le lendemain, Philippe Ploujoux affrontait l’Américain Joel Hirsch en finale sur 36 trous. Et la perte des deux premiers trous était très insuffisante pour entamer la confiance du Français, qui recevait de plus, au départ du 13, le soutien de ses supporters, partis précipitamment du championnat de foursome de Chantilly et tout juste débarqués de l’avion. « Quand ils sont arrivés, je leur ai dit "Je putte pas mal". » Commentaire malicieux d’un Philippe Ploujoux qui venait, en réalité, de rentrer une énième ficelle de 20 m de l’extérieur du green au 12 pour empocher le trou.

Alors qu’il était 2 down dès l’entame, le Français se présentait 5 up au départ du 17, le fameux et redoutable "trou de la route". Et là encore, sa bonne étoile ne le quittait pas. « Mon drive est parti vers la droite. Mon caddie a tout de suite vu que ça sentait mauvais. En arrivant, j’ai vu que ça avait rasé le hors limite. Il me restait 210 m, j’ai tapé un bois 3 littéralement au joystick. La balle est tombée pile où il fallait pour prendre l’entrée du green. » L’après-midi, 16 trous lui suffisaient pour s’imposer 4 & 2.

« Très fier d’avoir été le premier »

Non seulement Philippe Ploujoux devenait-il ce jour-là le premier Français à inscrire son nom au palmarès de l’édition masculine de « The Amateur », mais il devenait aussi, trois ans avant un certain José Maria Olazabal, le premier européen continental à triompher. « Je suis très fier d’avoir été le premier », affirme-t-il. Une victoire dont l’importance allait affleurer de nouveau en 2006, quand Julien Guerrier devenait le deuxième Frenchie au palmarès du British Amateur, tirant ainsi des larmes des yeux de son prédécesseur, bien que les deux hommes ne se soient jamais côtoyés auparavant.

« Une victoire comme ça, ça vous ouvre des portes incroyables, rappelle Philippe Ploujoux. Je suis allé jouer le Masters, le British Open… J'ai aussi été invité au Firestone Country Club, à Akron, dans l’Ohio. » Conduit dans les vestiaires par le président du club, le Français, toujours amateur, découvrait alors sur les casiers les noms des plus grandes stars de l’époque. « Je m’étais retrouvé en partie avec Tom Watson et Nick Faldo. Dans ces cas-là, vous vous pincez pour savoir si vous ne rêvez pas. J’ai eu l’honneur de côtoyer mes dieux. Jouer avec ces joueurs-là, ça vous ramène sur terre. Ils ont des coups dans leur sac que vous n’avez pas. »

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Philippe Ploujoux reçoit son trophée devant le mythique club-house du R&A. © R&A

Le point de départ d’une (autre) carrière

Un paradoxe de plus : cette victoire de 1981 a également permis de lancer la carrière professionnelle d’un Philippe Ploujoux pourtant toujours resté golfeur amateur. En effet, son succès coïncide avec son entrée à la société Piguy Sport, vendeuse de matériel de golf. « Je n’ai jamais eu de velléité d’être joueur professionnel, confie-t-il. Ce travail avec Piguy, c’était ma passion. Mais c’est aussi ce qui m’a coûté mon niveau de jeu : je me suis mis à mal jouer assez vite après ça. »

Mais aucune baisse de forme ne serait jamais venue lui enlever son titre conquis à Saint-Andrews, que d’autres ont tant convoité sans jamais le décrocher. « Je me souviens, en décembre 1981, j’étais invité pour recevoir la médaille d’or de l’Académie des sports, se remémore Philippe Ploujoux. Lors du dîner, j’avais à ma gauche Henri de Lamaze. Pendant la moitié du repas, il ne m’a pas adressé la parole. » Mais lorsque l’homme aux 14 titres de champion de France amateur sort de son silence, il lui lance : « Jeune homme, je donnerais tous mes titres pour avoir le vôtre. »