La seconde victoire de Pauline Roussin-Bouchard obtenue mi-mars à Singapour est, pour son coach Alain Alberti, bien plus précieuse que sa première en 2021. Dans une analyse à froid, il revient sur le momentum d’un succès que les meilleures joueuses mondiales Lydia Ko et Danielle Kang n’ont pas su contrecarrer.

À Singapour, Pauline Roussin-Bouchard a décroché le deuxième titre de sa carrière sur le Ladies European Tour. © Mark Runnacles / LET

Après cette seconde victoire sur le LET pour Pauline, on imagine que vous êtes aussi très heureux...
Bien sûr, je suis très content pour elle, d’autant plus que c’est la première fois en 25 ans que j’assiste physiquement à la victoire d’un joueur ou d'une joueuse que j'entraîne ! Ce qui est notable, c’est qu’elle était à la bataille avec deux des meilleures joueuses du monde et qu’elle a produit un très bon jeu le dernier jour. Personnellement, je ne l’ai jamais vue jouer comme ça. Même aux Q-Series en 2021 (les cartes du LPGA Tour, ndlr) où elle avait tout dominé, elle n’avait pas joué comme ça. Sa frappe de balle, la puissance de ses drives et la façon dont elle rentrait les putts… c’était du jamais vu pour moi.

Qu’est-ce qui vous a le plus plu dans cette victoire ?
Elle était co-leader avec la 14e joueuse du ranking mondial et elle avait la n° 1 pas loin derrière, et malgré cela, elle ne s’est occupée que de son jeu. C’est très bien d’avoir géré cela. Même si elle avait fini deuxième en jouant de la même manière, ç’aurait été très bien aussi. Le golf est un sport rare où les meilleurs ne gagnent pas tout le temps, contrairement à un Nadal ou un Federer à l’époque, qui gagnaient 90 % de leurs matchs. Et la situation dans laquelle Pauline était samedi, même les meilleures joueuses du monde y perdent plus souvent qu’elles ne gagnent. Il faut le comprendre ça. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé à Danielle Kang. En comparaison, il n’y a que Tiger Woods qui a une statistique incroyable dans ce cas précis (il gagne 91,8 % des fois en étant leader ou co-leader au départ du dernier tour, ndlr) sinon tous les autres professionnels de ce sport ne gagnent pas toujours. Donc nous n’étions pas à l’abri que Lydia Ko joue -10 au dernier tour, que Pauline rende un -6 - qui aurait été déjà très bien - et que ce soit la Néo-Zélandaise qui gagne finalement. Il faut relativiser la victoire. Ce qui aurait été embêtant, c’est de perdre en craquant et en jouant +3 par exemple.

 

Alain Alberti (à gauche) entraîne Pauline Roussin-Bouchard pour la 10e année.

Comment l’aviez-vous sentie avant le tournoi ?
Elle savait que le job effectué cet hiver avait été fructifiant. Le tournoi en Arabie saoudite avait validé cette impression en terminant la semaine avec une 18e place face à un gros champ de joueuses. Mais même ainsi, ce n’est jamais évident d’arriver sur un tournoi avec de récents ajustements. Parce que ce n’est pas comme à l’entraînement, là il y a la carte dans la poche.

Visiblement, le travail hivernal a encore porté ses fruits...
Oui, elle a très bien travaillé. Nous avons établi un changement sur son grip où nous avons beaucoup affaibli la main gauche (main gauche plus ouverte, ndlr) pour avoir une meilleure position du poignet. Il en résulte une face de club plus stable à l’impact et moins de sanctions les jours où elle est moins synchronisée dans son geste. Mais ce n’était pas simple du tout pour elle, il fallait avoir le courage de le faire car il y a une sensation de gêne. Le premier jour du tournoi, nous avons opéré un réajustement après son tour parce qu’elle a réalisé que le grip était plus dur à garder en étant sous tension qu’en étant relâchée au practice. Mais elle a fait l’effort sur les deux derniers tours et ce qui est admirable, c’est qu’elle a réussi à transposer tout ce que nous avions vu à l’entraînement. Son attitude a été admirable aussi. Même en démarrant par six pars de suite alors que Lydia Ko était revenue à égalité avec ses trois birdies d’entrée, Pauline est restée calme, elle ne s’est pas frustrée.

Là, elle a montré qu’elle avait du répondant.

À quel moment dans le dernier tour vous êtes-vous dit « ça y est, c’est gagné » ?
Au départ du 17 (un par 3 avec un green en île, ndlr), lorsqu’elle avait cinq coups d’avance sur Ko qui, elle, était au club house. À ce moment, elle avait la même avance sur Kang qui partageait la dernière partie et je me suis dit "si elle reste au sec, c’est bon." Et c’est ce qui s’est passé. Mais il y a eu deux momentum qui ont mené à ça. D’abord lorsqu’elle sauve deux pars sur les six premiers trous où elle trouve par deux fois un bunker de green ; et ensuite, au trou n° 11, lorsque Danielle Kang se met à 1,5 m du trou pour eagle après un coup de bois 3. Derrière ça, Pauline tape son fer en sachant forcément qu’un eagle contre un par peut renverser la tendance, mais elle se met à 5 ou 6 mètres de la cible et fait birdie pour accentuer son score. Là, elle a montré qu’elle avait du répondant. Sa performance au global a été superbe. Certes, il y avait un manque de précision au driving sur les six premiers trous, mais à partir de son premier birdie au 7, il n’y a pas eu une erreur et le plus long putt qu’elle a eu devait mesurer 3 mètres.

C’est le résultat idéal pour attaquer la saison sur le LPGA Tour ?
C’est un super résultat pour la suite de sa saison. D’autant plus que sa nouvelle 61e place mondiale la rapproche d’une qualification pour l’U.S. Women’s Open. Si jamais elle avait un doute sur ce qui pouvait lui manquer par rapport aux meilleures joueuses, elle a de quoi l'estomper. Mais elle est déterminée. Lundi, elle est arrivée en Arizona pour son premier tournoi sur le circuit américain et après 25 heures de vol et 8 heures de décalage horaire, elle m’envoyait déjà des vidéos de son swing au practice (rires). Ça montre l’état d’esprit dans lequel elle est. Je lui ai dit que ce n’était pas la peine et qu’il fallait récupérer, mais elle y est quand même retournée en fin de journée là-bas et à 1 heure du matin en France, j’avais encore une vidéo. C’est bon signe !