Chaque jour depuis un mois, Simon Wattier foule l’Augusta National dans un certain anonymat. Tantôt une tondeuse dans les mains, tantôt en recoiffant les bunkers. Reconnu sans être connu, il est à 21 ans un artisan de la plus belle semaine de golf de l’année ; le seul et unique Français dans l'équipe de terrain du Masters.

Simon Wattier (à droite) en compagnie de son meilleur ami et confrère Simon Richalot. © D. R.

Ils sont les symboles d’un tracé illustre. Trois trous indissociables qui se dessinent à l’esprit à la simple évocation de deux mots : Amen Corner. Un par 4 au relief aveuglant, un par 3 à la pièce d’eau aussi petite qu’effroyable et un par 5 au dogleg plus populaire pour les coups frappés depuis ses pins que ses fairways. Chacun de ces trois greens seront à la charge de Simon Wattier durant la semaine du Masters. « Je m’estime très chanceux d’être où je suis. Combien de personnes paieraient ne serait-ce que pour marcher le parcours ? Et moi je suis payé pour le faire. » Pour bien se représenter ce personnage de l’ombre, il n’y a qu’à écouter sa voix. La jeunesse de son timbre révèle une vingtaine à peine entamée quand le sourire qui l’habille, lui, ne peut retenir l’excitation d’un gamin évoquant un rêve qu’il vit éveillé.

Dans ses anglicismes naturels et ses nombreux « hum », on devine un garçon qui n’a plus pratiqué le français comme première langue depuis de longs mois. Plus de deux ans pour être précis. « Ce matin j’étais au trou n° 16 et je suis passé sur la gauche du green, là où Tiger a rentré son fameux chip (en 2005, ndlr), raconte-t-il lorsqu’on lui demande ce que procure le fait de déambuler chaque jour à l’Augusta National. Sur quasiment chaque trou, je pense à des coups qui sont restés dans l’histoire du golf. Au 2, c’est l’albatros d’Oosthuizen (en 2012), au 3, le chip rentré de Scheffler il y a deux ans, au 4, Spieth qui boîte sa sortie de bunker. Au 10, je me suis mis là où Bubba Watson a tapé son coup magnifique coup en play-off (en 2012) et quand j’ai vu l’angle qu’il avait, je me suis rendu compte à quel point le shot était impressionnant ; d’ailleurs pour l’anecdote, un petit arbre est planté à l’endroit exact d’où il avait joué sa balle. Ce sont pour ces histoires que le parcours est au-dessus de tout. »

Cette hiérarchisation de sa part est des plus légitimes. Diplômé depuis le mois de mars d’un cursus de deux ans à l’université d’État de Pennsylvanie - la plus reconnue dans le milieu de l’agronomie - le Franco-Suisse a construit avant ses études une expérience professionnelle qui lui aurait déjà ouvert les portes de nombreux golfs. Originaire d’Annecy, il se dirige à la sortie du lycée vers les fairways du Domaine impérial à Genève, « mon premier job. » Puis les bons contacts aidant, il atterrit dix mois plus tard dans un jardin caché du Sud-Ouest de l’Irlande, bientôt révélé aux yeux de tous lors de la Ryder Cup 2027 : l’Adare Manor Golf Club. « C’est ce qui se rapproche le plus d’Augusta en terme de qualité, cadre-t-il immédiatement. Et c’est d’autant plus impressionnant que ce golf est public. Mais la chose qui m’a frappé est le budget. Il n’y a pas de limite. L’équipe est composée de 50 hommes et femmes qui sont à l’œuvre pour s’occuper d’un produit phénoménal. »

Là-bas, il exerce deux années, rencontre son mentor Joe Buckley et se prend d’amour pour le métier de greenkeeper. Il ne s’agit pas du travail de jardinier, il tient à le rappeler. Mais bien de mécanique, de science, de recherche, d’un métier de passion. Une valeur qu’il a retrouvée chez chacun des 60 greenkeepers de l’Augusta National. « Depuis que je suis arrivé ici, je suis sur un rythme de 90 heures hebdomadaires et je n’ai pas eu un jour de repos, illustre-t-il. Et pendant le tournoi, on passera au-delà des 100 heures pour une équipe élargie à 200 greenkeepers. On est tous debout à 4 h 30 du matin et ce qui est dingue, c’est que tout le monde y va de bon cœur. Mais c’est ce qu’il faut pour avoir le meilleur parcours du monde. »

Le coup de la panne

L’ennemi n° 1 du greenkeeper est le problème mécanique. « Une fuite d’huile détruit un green. C’est pour ça qu’il y a six mécaniciens qui vérifient tous les matins chacune des tondeuses. Il y a un état des lieux quotidiens pour s’assurer que rien ne puisse nuire à l’entretien du parcours. »

Je ne peux pas tout dire par rapport à Augusta...

Simon Wattier

Bien qu’il soit arrivé pour son stage au cours du mois de mars, Simon Wattier a rejoint la préparation du premier Majeur de l’année à l’orée de la dernière ligne droite. Car le renouveau du tracé démarre chaque année en septembre à l’occasion d’un processus d’overseeding (sursemis en français) qui établit, d’après le professionnel de 21 ans, l’unicité d’Augusta. « L’État de Géorgie connaît des fortes chaleurs l’été quand l’hiver est relativement doux mais bien plus frais. Ce qui amène les greenkeepers à semer une herbe d’hiver en septembre, par-dessus celle de l’été. Le parcours repart alors de zéro ou presque et la nouvelle pousse élimine tous les insectes, les mauvaises herbes et les imperfections. Puis l’été, l’herbe d’hiver meurt avec la chaleur et la bermuda grass reprend le dessus. D’ailleurs à cette période, le parcours ne ressemble plus à grand chose » s’amuse-t-il.

De toutes ses connaissances sur son nouveau lieu de travail, une bonne partie est soumise à une charte de confidentialité signée à son embauche. « Je ne peux pas tout dire par rapport à Augusta, je n’ai pas le droit de prendre de photos du parcours et encore moins de confirmer ou non les rumeurs. Les sous-terrains, les tunnels, les caméras dans les arbres, il y a beaucoup de choses qui se disent… peut-être que certaines sont vraies et d’autres non. En tout cas moi je le sais », glisse-il dans un rire.

Un Simon peut en cacher un autre

S’il savoure son désir de toujours, « vivre sur un terrain de golf », Simon reconnaît qu’il a quelque peu transformé son tout premier rêve qu’était celui d'être joueur professionnel. Arrivé à 2,0 d’index à 17 ans, il partage à ce moment-là sa passion et son niveau avec son meilleur ami, Simon Richalot. Mais à cette époque, tous deux savent qu’ils ne sortiront pas du lot sportif. Alors, ensemble, ils font la promesse de devenir les meilleurs dans un métier encore plus proche des parcours. « C’est lui qui l’a évoqué en premier puisque son frère est allé à Pennsylvania State University avant nous, raconte « l’autre » Simon. Pour ma part, j’avais déjà fait un stage de troisième au Golf Club de Genève et je savais que ça me plaisait bien. »

Baigné depuis toujours dans le milieu du golf avec un père, David, directeur du Golf de Chamonix puis du Golf Club de Lyon aujourd’hui, l’idée de redonner vie aux tracés à chaque nouvelle saison, de façonner des parcours pour des échéances majeures était une évidence pour lui. Bien sûr, le dessein d’origine était d’avancer aux côtés de son meilleur ami. Mais une expérience au Kingston Heath Golf Club (en Australie) couplée à une pandémie en 2020 a décalé les agendas, forçant les deux étudiants à se suivre à une année d’écart. Lui aussi a connu la Suisse, l’Irlande et maintenant les États-Unis. Lui aussi s’offre le prestige d’un parcours de Majeur, hôte de l’U.S. Open 2025, puisqu’il prépare pour les cinq prochains mois l’Oakmont Country Club. « On s’appelle souvent avec Simon, pour se raconter nos expériences, toujours en respectant la confidentialité, donc ça ouvre nos horizons sur notre métier », livre celui qui sera diplômé l’an prochain.

Mais n’allez pas croire que la vie de greenkeeper s’arrête aux discussions de parcours et aux conseils d’entretien. Ces femmes et hommes sont avant tout amoureux du golf, et donc des joueurs qui ne boudent pas le plaisir qui accompagne leur métier de s’accorder une partie de temps à autre sur ces lieux interdits pour le commun des golfeurs. « Je peux jouer tous les lundis après-midi, avance Simon dans un sourire perceptible. Et récemment j’ai rendu +4 sur 13 trous », lâche-t-il avec une certaine humilité. Une ligne de plus qui parfait un CV déjà convaincant.

Car l’objectif à long terme pour l'un et l'autre est de prolonger leur carrière respective outre-Atlantique, dans un pays où le golf a une place importante. Mais un retour en France ne serait pas malvenu. « J’aimerais beaucoup aider la France à se développer dans ce secteur-là, reprend le Simon d’Augusta. Ça me permettrait aussi de revoir ma famille. » L’occasion pour lui de rattraper le temps perdu, de raconter quelques histoires secrètes et enfin de dévoiler un ou deux clichés qu'un hasard total et indépendant de sa volonté aurait permis de capturer dans son téléphone...