Caddie de l'Anglais Matt Wallace depuis un an après avoir porté le sac de Romain Langasque notamment, Samuel Bernard, 38 ans, a récemment goûté aux joies de la victoire sur le PGA Tour. Entretien avec un globe-trotter passionné.

Samuel Bernard est le caddie de Matt Wallace depuis mars 2022. © Kate McShane / Getty Images Europe - AFP

Quel a été votre parcours avant de devenir caddie ?
J'ai commencé le golf à 15 ans, donc je n'ai pas eu un gros cursus amateur, mais comme je me suis passionné pour ce sport je me suis lancé dans un sport-études, et je suis passé pro en 2008. J'ai tenté le circuit français et l'Alps Tour sur lesquels j'ai joué un petit peu, mais sans grands résultats. Je suis passé à l'enseignement : j'ai eu mon diplôme en 2012, et l'année suivante je suis venu travailler à Terre Blanche où j'ai passé six ans à gérer un peu le practice, mais surtout le fitting pour TaylorMade. Je me suis spécialisé dans l'analyse technique avec les outils modernes, et je me suis formé auprès de Jean-Jacques Rivet et Alain Alberti, quand il était là-bas.

Qu'est-ce qui vous a poussé à vous reconvertir en tant que caddie ?
À l'époque où j'étais à Terre Blanche, j'ai connu Romain Langasque qui était tout jeune. On se voyait souvent, on jouait ensemble de temps en temps, et c'est comme ça que ça a commencé. Je lui ai dit un jour que ça pourrait m'intéresser de le caddeyer, mais j'ai dit ça comme ça. Puis on s'est un peu perdus de vue car il a commencé à jouer sur les circuits, mais à l'hiver 2017 on s'est envoyé des messages pour Noël, et il m'a dit qu'il venait d'arrêter avec Axel Bettan et m'a proposé d'être son caddie à plein temps sur le Challenge Tour. Ça m'a trotté dans la tête, car je commençais à avoir fait le tour de ce que je faisais à Terre Blanche, puis deux jours après j'ai démissionné et je suis parti avec Romain au Kenya ! J'avais un tout petit peu caddeyé sur les tournois du Senior Tour et du Letas à Terre Blanche, et quand on a joué pro on a quand même une idée du métier, mais j'ai vraiment débuté en tant que caddie pro au Kenya en mars 2018.

Et vous avez assez rapidement goûté à la victoire...
Oui, on a gagné ensemble le Hopps Open de Provence à la fin de l'été. Ç'a été un moment important, car si la saison se passait bien dans notre relation, on n'avait pas fait de résultat important jusque là, hormis au Kazakhstan la semaine d'avant, ce qui nous avait permis d'avancer au ranking. On a surfé sur la vague à Pont Royal et on a gagné, ce qui nous a permis d'aller jouer la finale du Challenge Tour, où on a failli se qualifier directement pour le circuit européen. On est donc partis aux Cartes européennes où on a fini deuxièmes, et ça nous a mis dans une bonne dynamique pour le début du Tour européen dans la foulée : dès l'open d'Afrique du Sud au mois de décembre, on a fini deuxièmes, et ça nous a offert une place pour le British Open au Royal Portrush. On a fait une super année en 2019 : on a fait 24es de la Race to Dubai, on s'est qualifiés pour la finale et à nouveau pour le British Open de l'année suivante au Royal St George's.

Quand et pourquoi votre collaboration a-t-elle pris fin ?
Avec Romain, ça s'est terminé fin 2021, à Madrid lors de l'open d'Espagne, après avoir raté le cut. La dynamique était moins bonne depuis quelques temps et on sentait l'un et l'autre qu'on s'apportait moins. C'est lui qui a pris l'initiative de me convoquer pour discuter, et au ton de sa voix quand il m'a appelé je savais que c'était fini. Mais il n'y avait pas du tout d'animosité, et de mon côté s'il n'avait pas pris cette décision j'aurais sans doute cherché un autre sac pour la saison suivante, car on s'apportait moins. C'était une rupture normale dans une relation caddie-joueur, et on est resté en excellents termes.

Samuel Bernard aux côtés de Romain Langasque lors du British Open 2019. © Kevin C. Cox / Getty Images Europe - AFP

Comment avez-vous rebondi derrière ?
La chance que j'ai eu après cela, c'est que Benjamin Hébert était à la recherche d'un caddie. Son agent, Maxime Demory, m'a sollicité, et j'ai voulu enchaîner pour montrer que j'étais motivé. On a fini la saison avec Ben et on a raté la carte d'une place, ce qui était frustrant, mais ça nous a poussé à repartir plus fort. On a repris début 2022 à Ras Al Khaimah, mais j'avais fait les deux premiers Rolex Series juste avant, dans lesquels il ne rentrait pas, avec d'autres joueurs : Abou Dhabi avec Matti Schmid et Dubaï avec Nicolai von Dellingshausen. Et durant ce tournoi, on a joué un tour avec Matt Wallace que je connaissais déjà un peu, et à la fin de cette partie il m'avait félicité pour mon travail avec Nicolai. Et en y repensant aujourd'hui, le fait qu'on bosse ensemble désormais est sans doute parti de là. Ensuite, à Ras Al Khaimah, Benjamin s'est cassé le poignet, c'est dommage car on avait mis une bonne routine de travail ensemble, on était bien partis, mais ça l'a stoppé net. Moi je voulais enchaîner, donc je suis allé faire le Qatar avec Robin Roussel. Et le lundi soir en partant, j'ai reçu un message de l'agent de Matt qui me demandait si j'étais prêt à aller le caddeyer au Valero la semaine d'après. J'ai dit oui, bien sûr !

Il ne faut pas se mentir, il n'y a qu'un seul circuit de très haut niveau aujourd'hui. Ç'aurait été une grosse déception de ne pas repartir sur le PGA Tour cette année.

Avez-vous senti venir votre victoire au Corales Puntacana Championship, le 26 mars dernier ?
La fin d'année aux USA n'a pas été terrible, avec trois cuts ratés, mais rien de catastrophique. Puis en janvier on est repartis sur de bonnes bases : Matt a été sélectionné pour la Hero Cup où il a bien figuré (2,5 points marqués en 4 matchs, ndlr), et on a fait de bonnes places à Abou Dhabi et Dubaï sur le DP World Tour. Après cela, on est repartis aux États-Unis où on a alterné des places correctes et des cuts ratés sur les gros tournois. Et même si le tournoi en République dominicaine était un tournoi « alternate » avec un champ de joueurs nettement moins fort que d'ordinaire sur le PGA Tour, on est partis le jouer avec l'idée de bien figurer. Matt sortait d'un enchaînement au Honda Classic et au Valspar Championship où ses statistiques de grand jeu avaient été excellentes, donc il était en pleine confiance. À Punta Cana, c'est monté crescendo et on a fini fort pour gagner.

Quel goût a eu cette victoire pour vous, en tant que caddie ?
J'avais gagné sur le Tour européen avec Romain au Pays de Galles, donc c'était à peu près le même genre de sensation car le niveau du tournoi était comparable. Mais, étant caddie, mon ressenti est différent du joueur : ce n'est pas le même accomplissement, car je regarde mon travail d'un œil personnel. Si une semaine on gagne mais que j'ai pas fait du bon travail, que je n'ai pas réellement aidé à la performance, ma satisfaction est moins grande. Là ce n'était pas le cas, mais ça peut arriver ; et inversement je peux être satisfait même si le résultat est moyen. Je regarde surtout les process, la façon de faire, ce que je peux apporter au joueur. Le caddie est là pour pousser le joueur à être le meilleur golfeur possible. On est juste l'assistant, on ne tape pas les coups. Donc on est content d'intervenir sur des choix stratégiques, mais on n'a pas la sensation de réaliser la performance. Il faut donc se concentrer sur ce que demande le joueur pour l'aider à être performant ; ça peut être dans la stratégie ou le soutien psychologique notamment.

Une semaine plus tôt, Matt et vous aviez été au cœur d'une mini-polémique après un échange verbal houleux capté par les caméras de télévision lors du 3e tour du Valspar Championship. Que s'est-il passé ?
Dans notre cas, ça fait partie du quotidien. Matt est connu pour avoir changé pas mal de cadet. C'est un mec super, mais il se transcende pendant les parties, et c'est souvent intense. Les échanges sont souvent assez forts mais à la fin d'une partie tout revient à la normale et on est contents de se retrouver le lendemain. Là, au Valspar, c'était finalement beaucoup plus léger que ce que les gens en ont pensé, car la télé américaine en a fait tout un foin. Les gens l'ont perçu comme un comportement déplacé, de lui ou de moi d'ailleurs, mais nous on en rigole car ça a été une histoire énorme pour quelque chose de finalement peu important. Le côté positif, c'est que ça a fait le buzz et c'était bien pour nos sponsors respectifs ! J'ai eu la bonne nouvelle d'apprendre que Valspar allait pour cette situation me donner un bonus financier, parce que j'ai fait le buzz... Et Matt, qui était sans contrat de clubs jusque là, a pris un contrat officiel ! Les journalistes américains disent qu'ils adorent voir ce genre d'échanges car c'est authentique, alors que les joueurs et les cadets essaient plutôt de les masquer car ça peut être mal interprété. Mais ça fait partie du travail, et il y a beaucoup de joueurs de renom qui sont connus pour des situations bien pires !

Avez-vous déjà eu des accrochages encore plus sévères avec Matt ?
C'était bien moins pire, par exemple, que le premier trou du même tour ! J'ai fait une petite erreur en l'orientant sur un coup qu'il fallait taper 10 sur 10, et qu'il a tapé juste en dessous. Il s'est retrouvé pluggé dans le bunker et là, ses mots ont été beaucoup plus forts... Je ne peux pas les répéter ! C'est là que le cadet soit se préparer mentalement, surtout avec ce type de joueur. Je fais du yoga, de la méditation depuis longtemps, et je respecte certaines conditions pour ne pas me laisser affecter par la frustration que le joueur peut déverser sur son caddie. Il faut être prêt et conscient que ces quatre heures peuvent être compliquées. Mais après, il faut savoir ce qu'on veut : être dans le confort avec un joueur neutre, ou se retrouver parfois dans des situations difficiles avec un top joueur ? On sait que pour faire de la performance il faut parfois passer par là. Finalement, c'est de la com, et ça s'apprend. Il faut juste trouver l'équilibre entre tenir tête à son joueur et laisser couler.

Quel genre de relation entretenez-vous avec Matt, amicale ou purement professionnelle ?
Matt est super, on peut passer beaucoup de bon temps sur et en dehors des parcours. Après des journées compliquées, on peut se retrouver après que chacun ait passé 20 minutes dans son coin pour faire le vide, et aller dîner ou boire un verre, partager une semaine dans une maison avec toute l'équipe, et construire le plan de jeu ensemble pour le lendemain en ayant une relation tout à fait normale. Et c'est bien, parce qu'avec d'autres joueurs on n'a pas forcément cette relation mouvementée, mais la frustration peut s'accumuler si on n'a pas des moments comme ça, et la relation finit par se briser. C'est surtout le cas quand la relation est amicale au début et passe ensuite sur le plan professionnel. Moi, j'aime être avec les caddies ; j'aime bien la compagnie des joueurs mais je préfère garder une certaine indépendance et ne pas passer tout mon temps en dehors du parcours avec eux. Ça permet de garder la motivation pour repartir au boulot le lendemain plein de fraîcheur. Je ne cherche pas à être copain avec les joueurs. Avec Romain c'était un peu différent car on avait plutôt une relation de grand frère à petit frère, car je connais bien sa famille, je le connais depuis qu'il est jeune, etc. Avec Ben, il y avait une relation de camaraderie puisqu'on se connaissait depuis longtemps. Avec Matt, c'est une relation professionnelle, dans laquelle on a réussi à créer de la camaraderie, car heureusement on a des points communs et on aime passer du temps ensemble.

J'aime bien la compagnie des joueurs, mais je préfère garder une certaine indépendance et ne pas passer tout mon temps en dehors du parcours avec eux. Ça permet de garder la motivation pour repartir au boulot le lendemain plein de fraîcheur.

À quoi ressemble la vie d'un caddie français qui travaille aux États-Unis ?
J'essaie de varier : je passe du temps avec d'autres caddies, avec Matt et son staff, mais ça m'arrive souvent aussi d'être seul, et ça ne me dérange pas. Et le fait d'être le seul Français sur le PGA Tour ne me pose pas de problème. De toute façon, quand on est caddie, il faut aimer être seul. Je viens de passer deux mois et demi là-bas : dès que j'ai une semaine off, je pars un peu à l'aventure. J'essaie d'en profiter et je n'ai pas de souci à voyager seul. Les voyages font partie des contraintes du métier, et je suis conscient que ça ne convient pas à tout le monde, mais je n'aime pas trop rester dans ma zone de confort. J'ai besoin de mouvement, de dynamisme et de challenge, donc ça ne me dérange pas de bouger. J'ai adoré l'enseignement, mais j'aime encore plus le haut niveau, la compétition. Et de mon point de vue, le métier le plus intéressant dans le monde du golf, pour un joueur qui n'a pas percé, c'est cadet. J'ai vraiment accroché et pour l'instant je ne me vois pas faire autre chose.

En espérant que d'autres Français vous rejoignent bientôt sur le PGA Tour ?
Oui, j'ai hâte que d'autres Français arrivent, et hâte de voir comment ils vont organiser leur aventure. Avec les dix cartes qui vont être données en fin de saison aux meilleurs du DP World Tour, je suis sûr qu'il va vite y en avoir un, deux ou trois, peut-être même dès l'an prochain. Et ça va amener d'autres caddies. Ça peut aller très vite. Surtout qu'avec le fossé qui est en train de se creuser avec le circuit européen, les joueurs savent qu'ils ne doivent pas s'endormir.