Un public exécrable, un capitaine européen érigé au rang des dieux, un come-back invraisemblable… La rédaction est revenue sur ce qui a fait de cette 45e Ryder Cup l’une des plus mémorables.

L'Équipe européenne victorieuse à Bethpage lors de la Ryder Cup 2025. © Richard Heathcote / Getty Images - AFP

Flop : Bavure à Bethpage

Trente ans après la défaite concédée sur le fil par les États-Unis à Oak Hill, cette édition 2025 marquait les retrouvailles de la Ryder Cup et des fans new-yorkais. Réputé bouillant, le public censé jouer le rôle de treizième homme de la Team USA a hélas débordé, desservant son équipe, ternissant l'esprit de la compétition et salissant l'image du golf en général. « Les crétins et les imbéciles font toujours plus de bruit que les autres, et on a tendance à les croire plus nombreux », écrivait l'auteur américain William R. Burnett : c'était bien le cas ce week-end à Bethpage. De la speakerine Heather McMahan tentant de motiver la foule le samedi matin en entonnant au micro un « Fuck you Rory », aux insultes personnelles, familiales et homophobes proférées à l'encontre du Nord-Irlandais samedi après-midi, la ligne a été franchie à maintes reprises.

Le triste spectacle de policiers forcés d'intervenir pour éjecter les fauteurs de trouble s'est produit et répété, contribuant à faire de cette 45e Ryder Cup l'une des plus honteuses de l'histoire, au même titre que la « Guerre sur le rivage » à Kiawah Island en 1991 ou la « Bataille de Brookline » en 1999. Mus par un patriotisme bas du front que le journaliste américain Bradley S. Klein qualifiait ce lundi, dans un éditorial publié sur le site The First Call, de « xénophobe » (en référence au discours de motivation tenu dimanche matin par un pompier new-yorkais dont le père a laissé sa vie dans les attentats du 11-Septembre), les Américains, joueurs et spectateurs, se sont une fois de plus trompés sur les moyens d'atteindre leur objectif. Souhaitons que ces bavures à Bethpage rappellent à tous qu'avant d'être une compétition, et avant même d'être un sport, le golf est un jeu.

Top : Pour la beauté du geste

Il est souvent question de la plus grande cohésion de l’équipe européenne de Ryder Cup, comparée à celle de l’oncle Sam. Elle repose en partie sur ceci : lorsque vos superstars sont également ceux qui donnent le plus de leur personne pour la cause, elles creusent un sillage dans lequel toute l’équipe peut se placer. Vainqueur du Masters en début de saison, Rory McIlroy a atteint définitivement le statut de légende. Malgré ça, il ne voudra jamais entendre parler de se faire payer pour jouer sous le maillot européen. Shane Lowry a remporté The Open, en 2019, sur son île d’Irlande. Il a pourtant affirmé, de manière réitérée, que l’émotion était plus grande encore de jouer sa première Ryder Cup en 2021 à Whistling Straits, dans ce qui était pourtant une déroute sportive pour l’Europe (19-9). Pendant ce temps-là, Bryson DeChambeau faisait constamment mention de sa chaîne YouTube en interview et Patrick Cantlay ne quittait plus sa casquette depuis que les Américains sont dédommagés de 500 000 $ par tête pour jouer le match biennal (oui, juste le jouer).

Une équipe de Ryder Cup, ce n’est pas affirmer que personne, parmi les 12 joueurs, n’est plus ou moins fort qu’un autre. Ce sont 12 hommes qui mettent tous leurs forces en commun, avec ce que cela coûte à l’égo. Ce sont 12 hommes qui passeraient leur semaine à faire le café et porter les valises s’il le fallait. Durant cette Ryder Cup, Keegan Bradley, le capitaine de la Team USA, a souvent fait référence aux Patriots de la Nouvelle-Angleterre. Pendant 18 ans, leur star s’est appelée Tom Brady. Le plus grand de son sport, et dans le même temps, l’homme capable de donner son mythique numéro 12 à un débutant qui arrive tout juste dans l’équipe. Les Américains ont de très grands joueurs de golf, et de très bons exemples parmi leurs plus grands sportifs. Reste à mettre tous les ingrédients dans la marmite.

Top : Il n’est pas de belle victoire sans adversaire valeureux

Dominant comme jamais les doubles vendredi et samedi, l’Europe s’était placée dans une situation tellement confortable qu’une autre issue que la victoire n’était pas envisageable à l’aube du dernier jour. Nombre d’entre nous ressentaient bien sûr un plaisir coupable à voir la Team USA filer vers une déculottée historique. Supportérisme bon enfant, chauvinisme excessif, voire considérations politiques qui ne devraient pas avoir leur place autour d’une enceinte sportive… Tous les fans européens avaient une bonne raison de souhaiter assister à la « débâcle de Bethpage ». Et avec 10 points à inscrire sur 12 possibles, la mission américaine était impossible. D’autant plus après le forfait du Norvégien Viktor Hovland qui donnait l’Europe un avantage de 12 à 5, avec seulement deux points à marquer pour conserver la coupe. Restait à miser sur l’ampleur finale de cette dérouillée.

Mais un vent de folie allait balayer New York. Un moment de frénésie collective enthousiasmant pour tout amateur de golf, même Européen. Car le niveau de jeu déployé par les joueurs de l’oncle Sam sur la deuxième moitié du parcours dimanche après-midi fut tout simplement étourdissant. À l’image de Bryson DeChambeau, auteur de 7 birdies sur les 11 derniers trous pour aller chercher un nul improbable face à Matt Fitzpatrick. Sur le parcours comme derrière nos écrans, les mains devenaient moites. Qui serait en mesure d’aller chercher enfin ce minuscule demi-point qui manquait à l'Europe pour conserver la coupe ? Le poids de tout un continent sur les épaules, Lowry s’en chargeait pour une explosion de joie collective et un immense soulagement chez tous les téléspectateurs qui avaient bien cru assister à un moment historiquement désagréable. Le stress, l’angoisse, avant la délivrance. Des émotions qui rendront ce dimanche mémorable. Merci aux joueurs de Keegan Bradley de l’avoir rendu possible.

La rage de Justin Thomas au moment d'arracher le point de la victoire dans son match contre Tommy Fleetwood. © Jared C. Tilton / Getty Images via AFP

Flop : Un Bethpage Black trop timide

Bethpage Black, théâtre des U.S. Open 2002 et 2009, et plus récemment du PGA Championship 2019, s’était forgé une réputation d’ogre. Long, brutal, défendu par un rough assassin, il met d'ailleurs en garde les joueurs du dimanche avec un célèbre petit panneau à l'entrée, affichant la mention : « Recommandé uniquement aux très bons golfeurs ». Un ogre devenu géant au cœur tendre durant cette Ryder Cup, puisque le capitaine américain Keegan Bradley avait choisi de réduire la sévérité du parcours, notamment en taillant allègrement les zones de rough, convaincu que ce set-up conviendrait mieux à son équipe. Problème : la météo orageuse du début de semaine à New-York a vite rendu les greens souples et réceptifs, à l'opposé des surfaces béton que les Américains ont l'habitude d'affronter sur le PGA Tour. Les Européens, plus accoutumés à devoir gérer les profondeurs avec moins de spin, ont ainsi eu plus de facilité à se rapprocher des drapeaux. « J'ai clairement commis une erreur dans la configuration du parcours. J’aurais dû écouter davantage mon intuition », a admis Bradley, conscient d’avoir laissé filer l'un des atouts majeurs d'une Ryder Cup à domicile. Quand les surfaces se sont enfin raffermies sous le soleil du dimanche, les États-Unis ont relevé la tête. Un peu tard.

Top : God save the Captain

En s’imposant avec les siens, Luke Donald est devenu un homme à part. Déjà vainqueur à l’extérieur et à domicile en tant que joueur, il est devenu l’unique capitaine à le faire également. Car oui, le Britannique n’en est pas à son premier capitanat. Derrière Tony Jacklin (1983-1989), Bernard Gallacher (1991-1995) et John Jacobs (1979, 1981), il est le plus capé. Et depuis sa nomination de 2022 en remplacement d’Henrik Stenson, il a formé un groupe sur la durée. Même sans savoir quels seraient les hommes qu’il commanderait. Cette saison encore, l’Anglais s’est amusé à tester les jeunes prodiges de la saison 2025 Martin Couvra, Eugenio Chacarra ou encore Ángel Ayora en les faisant jouer avec des cadors mondiaux à l’instar de Shane Lowry. Une vision potentielle pour 2027 alors qu’il n’est pour le moment pas nommé pour y emmener l’Europe. Côté staff, avec un Edoardo Molinari statisticien jusqu’au bout des ongles et des vice-capitaines eux-mêmes anciens capitaines, l’ex-numéro un mondial a construit un collectif complémentaire, un état d’esprit qui symbolise à lui seul ce qui fait l’identité de la team Europe.

Mais ce qui a bâti la réussite de Bethpage, et donc la sienne, est surtout la continuité à laquelle il s’est tenu. En sélectionnant les mêmes hommes qu’en 2023 (accordons nous pour dire que le remplacement de Nicolai Højgaard par son frère jumeau Rasmus ne compte presque pas), le « captain » a lié ses hommes par une histoire forte. Une conséquence d’un autre fait que personne avant lui n’avait accompli, à savoir : réunir ses hommes dix jours avant le coup d’envoi pour un stage de préparation (il l’avait également fait en 2023). En somme, si tous les capitaines américains jouent avec l’aspect technique et stratégique de l’événement, leurs homologues européens se distinguent par la gestion de l’aspect collectif. Mais de manière encore plus précise, Luke Donald est peut-être celui qui a le plus travaillé en insistant sur le côté humain de la performance.