Vainqueur dimanche de son premier titre sur le DP World Tour, le rookie Martin Couvra est revenu mardi sur sa belle semaine, sur l’importance de son staff et sur son record dont il n’avait pas connaissance jusque-là.

Dans les scénarios qu'il échafaude, Martin Couvra est probablement l'acteur principal. © Octavio Passos / Getty Images via AFP

Dimanche soir, vous ne réalisiez pas encore que vous aviez gagné. Est-ce que quarante-huit heures après, la chose est un peu plus ancrée ?
Pas du tout, c’est dingue ! J’ai l’impression de ne pas du tout réaliser ce qui se passe. La nuit de dimanche à lundi a été courte, c’était impossible de fermer l’œil. J’avais la coupe avec moi dans le lit et dès que je m’endormais, je me réveillais pour vérifier si c’était un rêve ou non. Et le retour du lendemain a été assez long, il a fallu passer quelques appels, avancer sur quelques détails avec mon staff… Au final, je n’arrive toujours pas à me dire que je suis vainqueur sur le Tour.

Avec les deux coups d’avance que vous comptiez sur Jorge Campillo et Haotong Li, est-ce que le fait que ces deux-là manquent leur birdie au 17 a un peu acté la victoire ?
Avec le recul, je dirais que oui. Car la probabilité que les mecs rentrent leur deuxième coup au 18  pour partir en play-off était infime. Mais sur le moment, lorsque je suis au recording et que j'attends, j'ai l'impression que ça peut arriver à tout moment et qu’en fait le pourcentage de chance pour eux est bien plus grand. J’avais d’ailleurs ma mère au téléphone qui me disait « C'est bon, c'est impossible qu'ils le mettent » et je lui répondais « Ne porte pas l’œil, on ne sait jamais (rires). » Même Olivier (Elissondo, son caddie) ne disait pas grand chose, il devait être un peu shooté comme moi. On était tous les deux dans notre bulle et même au moment où Campillo a manqué son deuxième coup, on a pris un peu de temps pour réaliser.

Avec ce succès, vous êtes devenu le 24e Français à s’imposer sur le circuit et êtes le plus jeune Tricolore à l’avoir fait à 22 ans et 114 jours…
(Il coupe) Ah bon, le plus jeune ? Je ne savais pas !

Et alors qu’est-ce que ça fait ?
C’est toujours cool d'avoir un petit record en plus. Après, ce n'est pas le plus important parce que ce n'est pas l'âge qui fait la beauté de la victoire mais oui, pour l'histoire, on va dire que c'est sympa.

Est-ce qu’avant le début de cette première saison sur le DP World Tour, vous aviez déjà pensé à un endroit où vous aimeriez un jour dérocher votre premier titre ?
C'est marrant que vous me demandiez ça parce que je me suis fait des petits scénarios sur les tournois où des Français avaient leur nom au palmarès. Je trouvais séduisant l’idée de m’imposer au même endroit qu’eux. Par exemple, je connais Alex (Alexander Levy) depuis tout petit puisque lui et moi venons tous les deux de Frégate. Donc avant le tournoi en Chine, je me suis dit que l'histoire pouvait être belle si j’arrivais aussi à m’imposer là où lui a remporté ses premières victoires. Mais au final, vu que j’ai tout le temps l’envie de gagner, je me suis fait des scénarios sur tous les tournois (rires). Pour la Turquie, la bonne excuse était Victor Dubuisson (vainqueur en 2013 et 2015, ndlr). C’est un tournoi que j’ai beaucoup regardé parce qu’il l’a gagné mais aussi parce qu’il y a des noms comme Justin Rose, Tyrrell Hatton, Tiger Woods ou Brooks Koepka qui s’y sont imposés. Je n'arrive pas à me dire que j’ai gagné le même tournoi qu’eux… même si ce n’était pas tout à fait pareil puisqu’à l’époque c’était un Rolex Series.

C’était une volonté pour vous de vous imposer dès votre première année sur ce circuit ?
La victoire est tellement importante pour nous… Enfin, je mets ça vraiment au-dessus de tout. J'ai énormément de respect pour des gars comme Tommy Fleetwood qui n’ont pas forcément gagné beaucoup de tournois mais qui ont une carrière exceptionnelle ; mais ce qui me tient vraiment à cœur, c’est la victoire. Lorsque j’ai gagné en tant qu’amateur sur l’HotelPlanner Tour (ex-Challenge Tour) il y a deux ans, ça a élevé mon niveau d’attente. Et l’année suivante, j’ai eu plein d’opportunités de gagner à nouveau sans parvenir à les convertir. Donc cette saison, j'avais envie de me prouver que j'étais capable de gagner encore, oui.

Le staff de Martin Couvra

Olivier Elissondo : caddie

Mathieu Santerre : coach technique

Makis Chamalidis : préparateur mental

David Baudrier : préparateur physique

Derrière vous, il y a tout un staff avec lequel vous travaillez depuis 2021. Est-ce que cette victoire est le résultat du travail à long terme où davantage celui des dernières semaines ? 
Je ne pense pas que trois ou quatre ans soit qualifiables de très long terme puisqu’à l’échelle d’une carrière ça ne représente pas grand-chose. Mais oui, c’est ce travail qui m’a permis de petit à petit monter crescendo, de gagner sur le Challenge Tour mais aussi de surmonter la perte de moyens que j’ai pu connaître plusieurs fois dans les derniers tours. Au début je prenais des grosses valises, puis des plus petites ; puis ces journées sont devenues simplement peu exceptionnelles jusqu’à être des bonnes journées sans qu’il y ait un triple ou un quadruple qui traîne. Mais ce n’est pas fini, j’ai encore beaucoup à apprendre, comme on l’a vu le samedi.

Justement, la journée de samedi a été la plus compliquée. Qu’est-ce qui a mené à cette moins bonne performance ?
Cette situation - être leader, avoir deux coups d’avance - était nouvelle pour moi. Ce n’était pas forcément une super journée mais je me suis tout de même senti à l’aise à la fin parce que malgré la difficulté, je m’étais bien battu et je n’avais pas pris une énorme valise, justement. Compte tenu de la découverte de ce contexte, j’ai eu le sentiment de ne pas m'en être si mal sorti.

Parmi votre staff se trouve Olivier Elissondo, votre caddie expérimenté et déjà vainqueur sur le DP World Tour. À quel point son rôle a été important ?
On ne le dit pas assez, mais le rôle d'un caddie sur une semaine comme celle de la Turquie, c’est irréel tant c’est indispensable. Globalement, ce que j’aime dans mon staff est qu’en plus d’être compétents, tous les gars autour de moi veulent être meilleurs malgré tout ce qu'ils ont accompli dans leur carrière. C’est primordial pour moi de ne pas être le seul à vouloir progresser dans mon projet. Mais Olivier, quand je vois tout ce qu’il m’a apporté… Cette victoire est vraiment à nous deux car il a été excellent du début à la fin. On a beaucoup travaillé depuis deux ans sur nos échanges. Au début, il prenait beaucoup le pas sur moi parce que, forcément, j'étais très jeune. Mais au fur et à mesure, j’ai eu envie d’être capable de prendre un peu la main, donc maintenant on arrive à bouger le curseur pour savoir quand je dois l’écouter et quand il doit m’écouter.

Il nous a livré qu’il sentait bien son cœur battre sur les derniers trous, vous l’avez perçu dans son attitude ?
(Il rigole) Ça m'étonne, parce que je ne l'ai pas senti tant que ça. Je l'ai trouvé vraiment très fort tout au long de la journée. Que ce soit dans les dialogues ou dans les choix sur les cinq, six derniers trous : il m’a tout le temps mis en confiance, je savais que je ne me trompais jamais. Pour moi, il était en balade !

La semaine dernière a beaucoup puisé sur les plans mental et physique, et je n’ai pas envie de me cramer avant d’aborder les gros tournois de l’année.

Cette victoire change beaucoup de choses dans votre saison. Comment va s’articuler le reste du calendrier pour vous ?
Je ne sais pas, parce qu’on en n’a pas encore parlé avec Mathieu, mais la bonne nouvelle est que je vais pouvoir jouer tous les tournois que je veux. Je vais rentrer dans les Rolex Series et je vais pouvoir jouer Wentworth, le Scottish Open et potentiellement le British Open puisque je suis rentré dans les points. Mais il faut continuer à cravacher. La semaine prochaine, je vais jouer la qualification de l’U.S. Open, puis j’enchaînerai en Belgique et peut-être au KLM Open la semaine suivante, mais ça dépendra de mon état de fatigue. Même si je ne me sens pas forcément « mort », la semaine dernière a beaucoup puisé sur les plans mental et physique, et je n’ai pas envie de me cramer avant d’aborder les gros tournois de l’année. Il faut vraiment que je sois intelligent là-dessus pour marquer le plus de points possible.

Justement, les points amènent à un autre objectif désormais abordable : la montée sur le PGA Tour en fin de saison (pour les 10 meilleurs joueurs de la Race to Dubai non exemptés, ndlr). Vous y pensez ?
Oui, forcément, parce que j’ai fait un gros bond dans le classement (il est 8e actuellement). Mais je ne suis pas obnubilé par ça. Je dois surtout continuer à donner le meilleur de moi-même. Car je ne veux pas y être à tout prix et y aller en touriste. Je veux être sûr d’être prêt, d’avoir le niveau et de m’y rendre en sachant que je vais être compétitif. Ça se fera si ça doit se faire : c’est comme ça que je vois la chose. Et si c’est pour cette année, ça voudra dire que j’ai eu le niveau pour l’atteindre.